ferme

il y a quelques années
c’était une ferme
pleine de bruits
et d’animaux
aujourd’hui
havre de paix
de quiétude de silence
mais les toits et les murs
rappellent les temps du labeur
et des mains calleuses
le passé et le présent
s’épaulent pour un futur
d’équilibre et de bonheur

infini de l'eau

le fluide coule
en vert et bleu
l’horizon se voûte
sous la lourdeur du ciel
là-bas la ligne fuit 
voici la seule solitude 
qui vaille d’être vécue
trois cent soixante degrés
sans reliefs ni repères
le cœur se prend
d’une émotion sauvage
incontrôlée
bientôt plus d’oiseaux 
gris et blancs
on guettera les dauphins
mais en attendant
rien que le vent et la mer
le souffle et la glisse
et au milieu enfin seule
mon âme
pour me dire peut-être

ombre

par un beau jour d’été
une petite fille bronzée
se penche sur son ombre
dessinée sur le mur
perplexe elle s’interroge
ces formes c’est moi
et quand je bouge 
ça bouge aussi
pour vérifier
elle va essayer
oui ça bouge
devant elle 
le chemin monte
comme la vie
qui l’attend

poisson rouge

le poisson rouge a disparu
ce matin plus personne
pourtant pas de chat
dans la maison
ce n’est pas un meurtre
c’est une énigme
car ne vivent ici
que des esprits purs
des vibrations positives
une onde a dû traverser la pièce
pour porter le poisson rouge
à la rivière en contrebas
il faudra penser
à vider le bocal

voyage

la route la mer et les pins
invitation au voyage
sans commentaire
sans prospectus
rien à dire 
mon enfant ma sœur
il n’y a plus qu’à partir
sous le ciel brouillé
multicolore
vers l’aventure
partir seul
pour mieux découvrir
ce qu’il y a là-bas
au bout de la route

devant la vitre

vitre embuée
sur neige et glace mêlées
visage dans l’arbre
terre contre ciel
avenir en kaléidoscope
papier froissé
lettres cachées
naissance sibylline
d'un nouvel œuf
lignes verticales
autant de traces
pour avancer 
sous les nuages
sur le chemin 
de l’espoir

village de bord de mer

on a envie d’aller
au bout de la rue
découvrir ce qui se cache
au-delà des angles tranchants
des maisons pimpantes
des murs
toucher derrière les portes
et les fenêtres closes
cette vie secrète
et pourtant bien réelle
on sent la mer proche
qui nous appelle
on entend avec elle
le cri rauque des mouettes
et des goélands
c’est une promenade sans fin
égayée par les couleurs de la vie
reflétées sur les murs

recoins

la forêt vit la nuit
dans ses recoins
ses secrets 
ses pénombres
quand la lumière traverse
ce sanctuaire de mystères
une autre vie commence
cycle sans fin
mais chaque instant
vécu de l’intérieur
brille comme un diamant

noires visions

hirondelles sur trois fils oppressées
notes de musique en croches serrées
lignes d'écriture ancienne inconnue
collier sas fin de cailloux sculptés nus
mystérieux message cryptographié
feuilles mortes tout en noir épinglées
enfantins dessins de maisons bancales
purs fantômes alignés gris et sales
traits denses brisés en haut et en bas
l’incessant ballet ne finira pas

marcher

j’irai par les chemins
le long des plages
et des bruyères
le ciel me suivra 
sans rien dire
je marcherai ainsi
les pieds nus
portant entre leurs doigts
des grains de sable
qui grattent qui frottent
je suis comme eux
enraciné mais léger
prêt à m’envoler

triptyque

naissance vie mort
amour séparation tristesse
rien n’est typique
tout est triptyque
entre noir et blanc
toutes les nuances 
de la vie de la mort
la vie long fil d’or
sans commencement ni fin
la mort partout présente
sans cesse repoussée
la vie qui éclaire la mort
frontière entre l’avant et l’après

port de pêche

la lumière est un filtre
impressionniste
posé sur le paysage
on ne voit personne
mais les activités se devinent
le soir d’été a lâché son voile
sur les hommes et la ville
l’eau est partout
devant derrière
enserrant les maisons
qui vivent d’elle
la mer est une mère
nourricière et fière

histoire de la mer

c’est l’histoire de la mer
qui se dévoile devant nous
des frégates de guerre
d’hier et d’aujourd’hui
c’est l’histoire des marins
aux quatre coins du monde
mais toujours chez eux
sur le pont de leur bateau
c’est l’histoire des pays lointains
de leurs habitants
des grands voyages
des découvertes
et toujours la même fin
le retour au port

maison secrète

il était une fois
sous un ciel gris
une triste allée d’arbres
aux feuilles d'étendards

de chaque côté
la haie touffue
la serrait en pressoir
à l'abri du vent

sur le lac gelé par les ans
le sentier menait 
en se rétrécissant
à un manoir secret

jamais personne n'y entra
moi seul connut celle qui l'habita
belle comme un fantôme glacé

autre monde

des silhouettes se croisent
plusieurs fois
d’autres attendent
est-ce la plage est-ce l’eau
ou de grands bureaux
qui sait
on aimerait entrer
faire partie de cet univers
où les choses et les gens
sont proches et différents
si attirants

trinité

tout est difficile aimer chanter
seul rêver est facile
s'abstraire du réel fuir
oublier le passé
 
tout est difficile parler sourire
seul partir est permis
toujours en utopie
se voir là-bas plutôt qu'ici
 
tout est difficile vivre factice
seul écrire est vrai
bâtir sa réalité
ses murs sa forteresse
 
tout est difficile corps chargé
seule l'âme est légère
quand elle se libère
d'une transparence évasée
 
tout est difficile dire oui
dire non peut seul être acquis
dire je ne sais pas j'attends
je ne saurai rien du néant
 
tout est difficile dans tes yeux
seuls qui me scrutent
spectateurs incultes
de mon souffle nerveux
 
tout est difficile pleurer souffrir
seul un gémissement
trace l'ineffable soupir
de ce qui jamais ne ment
 
tout est difficile aujourd'hui
seul demain peut attirer
d'autres cœurs épris
après avoir tant pleuré

tout est difficile même dire
tout est difficile
quand tu cries je t'aime
au fond de la nuit blême

tout est difficile sauf croire en toi
l'eau claire et le torrent
la lumière et le chant
tout devient possible pour moi

tout devient possible grâce à toi
sur le chemin aux trois sens
direction sentiment connaissance
tu es la trinité de ma vie de roi

spleen du légionnaire

le temps est aboli
règne de l’espace inutile

motif 325 bis ne pas se conformer au règlement

il est interdit de ne pas interdire
dans ce champ ici clos
là-bas dans le monde libre
le ciel n'est pas bleu blanc rouge
peut-être y fait-il presque beau
et la douceur mon dieu la douceur
mot banni mot sacrilège
on ne fait pas la guerre avec douceur
il faut des aboiements sur la route
le long de la colonne qui chemine
dans le petit matin
pour aller où
douleur de l’oubli de la douceur

motif 4.113 se coucher ailleurs qu’aux endroits prévus

l’herbe chantante et vive de ton corps
l’anse abritée du port de tes bras
l’envol de ta chevelure d’aigle
interdiction de stationner
l’eau claire de tes yeux
ta nudité en moi comme un clair de lune
lac secret la fraîcheur de ton sourire
interdiction de se baigner

motif 6.19 tenue civile exagérément fantaisiste à l’intérieur d’une enceinte militaire ou à bord

tout nu au milieu de la place d’armes
saluer le colonel
et pendant l’appel des couleurs
faire pipi sur le gazon
ou bien se coiffer d’un chapeau mexicain
sur le dos un poncho multicolore
fumer un long havane
tandis que la foule en délire
danse les clochettes au pied
et dit mille fois Hare Krishna

motif 2.31 briser ou détériorer volontairement du matériel ou des locaux militaires

voler un crayon à papier à l'intendance
et violemment le casser en deux
en se moquant des représailles
sur une feuille de papier blanche
écrire de façon bien ordonnée
merde merde merde

motif 4.143 indiscrétion verbale ou par écrit

les hommes fatigués partiront à nouveau se battre
les villages nettoieront leurs monuments aux morts
sur la place de l’église déserte
personne pour graver les nouveaux noms
tout le monde est mort
l’indiscrétion c’est la vie
il est tout à fait indiscret de vivre
il faut seulement obéir
mon amour l’indiscrétion c’est de dire mon amour
voler au ras des nuages qui passent
sur la grisaille verte de la caserne
effacer des murs le bruit des chars
tracer sur sa vie le portrait d’une femme
elle a les yeux de niche dans la rosée
une façon de ne rien dire qui me plait
quant elle vient au creux de ma douleur
je meurs dans ses bras dans sa douceur
elle a la grandeur terrible du vent
je me noie dans son océan
elle a les gestes pharaoniques et fous
des envies de tout
des colères d’épis en étincelle
je m’enivre de ses passions je suis fou d'elle

motif 2.01 manquement grave aux devoirs et responsabilités du militaire au combat

s’étendre face au ciel
et lire des poèmes de Federico Garcia Lorca
tracer dans l’herbe pour les avions qui passent
des lettres de feu gigantesques
qui épèleraient folles incongrues le mot 
amour

prince

je fais partie d’une cohorte fière
autour d’un prince blond et grand
qui nous honore de son amitié
et avec lui ce mot s’écrit en majuscules

massif comme une forteresse
il sourit d’un air calme et nous sommes sereins
il ne parle pas beaucoup tel un prince
mais il est là et nous comprend

il sait des choses incommensurables
je me demande où et comment il les a apprises
il ne s'en sert pas pour écraser les autres
mais pour mieux comprendre la vie

c’est un guerrier un croisé un berger un roi mage
il va chercher ses amis partout où ils se sont perdus
et dieu sait s’ils se sont noyés les bougres
dans la vie les tourments la fureur

alors il les prend par la main sans rien dire
et ils le suivent envoûtés
pour rire avec lui longtemps dans la nuit
et avec lui la nuit rutile et jure

il est prince de sang mais de cœur surtout
peu importe le blason pourvu qu’on ait l’âme
son amitié nous pousse à nous dépasser
nous les membres de la cohorte
on est perdus sans lui faibles et lâches
petites boussoles déglinguées

et puis un jour trop tôt il a grimpé 
seul en haut de la montagne
dans les nuages et le soleil
il nous a regardé et souri
il a tendu son arc vers le ciel
et quand la flèche s’est affranchie 
elle a vibré d'un son de scie
la vibration s’est accordée à celle de notre vie
comme un étendard de cérémonie
alors nous membres de la cohorte nous avons compris
avant de vivre notre destin sans lui
le prince nous avait anobli

à A.M. 

passant

j’aime la ville la nuit
après la pluie
ses lumières
brillent
dans le noir
pour éclairer
la pénombre
des destins
je suis un passant
marchant sans fin
vers une rencontre

marais salants

la mer c’est aussi du travail
de l’artisanat de la patience
précision de la répétition
la géométrie a de l’allure
la lumière se joue des reflets
et ces montagnes naines
alignées pleines de goût
soigneusement ratissées
savent-elles qu’elles viennent
du grand large
là où les oiseaux blancs
planent en riant

veilleur

je suis le gardien
le veilleur
celui qui sait 
les bruits isolés de la nuit
les remous furtif du désert
mon arme 
ce n’est pas ma lance
mais ma patience
je connais les ruses
de l’homme 
et de l’animal
longtemps
je peux rester immobile
froid tel un scorpion mort
et à l’heure du danger
bondir comme un tigre
mon cœur est sûr
mon âme est calme

pluie rouge

la pluie rouge tomba sur la ville
honteuse la mer partit se cacher
emportant avec elle les poissons affolés
les maisons blanches tremblaient de peur
puis un cri vibrant jaillit de la cote
déclamant aux gens perdus
creusez loin 
cherchez au-delà de l’illusion
née du cauchemar des hommes
vivez le présent
et ses cadeaux
le sourire revint sur les quais
et le monde finit par s’habituer
à ces couleurs nouvelles
qui rendaient leur vie plus joyeuse

mourir un peu

mourir un peu pour savoir
et revenir et le dire
la vie est belle 
partir ne me fait pas peur
j’en aurais même envie d'une certaine façon
je meurs de ne pas savoir ce qu'il y a derrière tout cela
au-delà de l'agitation de lumière et d'espoir
d'ombres et de souffrances

quand tout se taira n'y aura-t-il que le noir
je ne peux le croire
si ce néant est la réponse et que je le sache
à quoi bon vivre
si le noir nous attend en sortant du labyrinthe muré
pourquoi continuer à s'affairer
à quoi bon rester

au contraire si tel est mon désir
rien ne sera jamais plus beau que d'y être
autant y aller sans attendre
je n'ai aucune envie de mourir
mais j'aimerais tant savoir

le soleil se perd dans la mer de nuages
sans me donner la réponse

il me faudra mourir pour savoir
je ne veux pas que ce soit définitif
juste mourir un peu
pas longtemps
juste le temps de savoir

je suppose qu'on le sait tout de suite
fulgurance de l'évidence absolue
tout le monde parle de la lumière blanche 
au bout du tunnel
je veux aller voir derrière elle

et puis revenir bien sûr
parce que la vie est belle 
parait-il
la vie est la vie
elle ne se remplace pas

si c'est ce que je crois
je regretterai de ne pas y rester
ayant goûté expérimentalement au paradis
j'aurai peur de ne pouvoir y revenir
et je vivrai dans cette douloureuse attente
cette effroyable incertitude

le noir c'est plus simple
aucune envie d'y revenir
plus jamais envie de mourir basta

et le jour où je mourrai vraiment
définitivement
s'il me reste un peu de conscience
je me dirai bon c'est fini
j'ai bien vécu et voilà tout

bon je préfère ne pas savoir
mais j'aimerais tant

interdit négatif

pelouse interdite
parking réservé
défense de traverser
le sens obligatoire est négatif
est-cela la liberté
faire tout sauf 

défense d'entrer
c'est marrant on ne dit jamais
défense de sortir

défense d'uriner
défense de penser peut-être
défense d'aimer
d'être heureux

je veux embrasser toute herbe défendue
et tourner à contre-sens
je veux sourire et crier en même temps
ne vous inquiétez pas
je n'irai pas cracher sur vos tombes
j'ai besoin du regard des autres pour exister
esse est percipi
je peux être conforme
un peu
mais je veux être libre
surtout
libre de respirer la folie des autres
l'insoutenable petite folie persistante
dans tout être aimant

enfer

le corps est prégnant
jamais l'âme ne pourra s'envoler
l'homme est lourd de chair
et quand il veut rêver
il se voudrait léger dans l'air
mais il a mal aux dents

il se plaint œil vide dos voûté
j'ai perdu dit-il la grâce de l'enfance
oublié la puissance du silence
l'homme ne s'écoute même plus
il ne fait que bouger se gratter
comme si sa pensée pouvait se lessiver
d'un coup d'ongle négligent

créature du paradoxe et du soupir
filandre perdue dans l'infini successif
il se tait les mots ne servent à rien

nous voici blêmes et bleus
sans bouée de sauvetage
dans l'océan du non dit du non partage

l'enfer c'est cela
se contenter d'une telle vanité
sans pouvoir rire ni pleurer
sans même avoir peur

écouter le temps

j'aimerais découvrir un lieu
où écouter le temps qui passe
telle une musique à trois notes
assis sur le pas de la porte
dans la lumière douce et basse
un rayon ocre savoureux
protègerait le cœur les yeux
du vent irréel gracieux

quelques arbres se tiendraient loin
le ciel serait indéfini
et le bruit d'homme enfin éteint
alors à cet instant précis
où le cercle se fermerait
peut-être avec un peu de chance
de la colline verte et dense
entendrais-je l'âme pleurer

respiration

je respire jour et nuit
à pleine âme
le ciel qui s’unit à l’océan
la caresse sifflante du vent dans les voiles
la lumière bruissante du sillage des planctons
réceptacle je respire les éléments en fusion
mystérieux le cerne d’un feu lointain
solitaire le bonjour d’une frégate nerveuse
drapé le silence du paysage
étoilée la nuit de cinéma
blanche et grise l’aube rose et bleue
plus belle ici qu'ailleurs
tout converge vers moi spectateur ébloui
passager nomade éphémère de la mer
j'y respire un air plus fort que la vie

perle et roule

la mer perle
la houle roule
le soleil veille
la lune fait hune
le ciel s’éveille
le vent se tend
la voile s’étoile
la barque se nacre
le sillage nage
le mât tend son bras
le hauban fait dang dang
et mon cœur boum boum

murmure et frisson

la mer m’a dit dans un murmure un frisson

regarde toi ni frégate ni poisson
gorille lourd et grossier
comment oses-tu me défier
me déranger parmi mes éléments
que fais-tu là étranger sans palme
accroché à ton morceau sans âme
fait de bois et de toile sans vent
qu’espères tu donc de moi quel frisson

je suis le temps et l’espace
je suis l’horizon je suis l'aura
l'abysse ténébreux qui te perdra
et toi tu n’es qu'une carcasse
que sais-tu de l'effluve alizé déhanché
du chant perlé de la vague immaculée
de la poussière de sargasse

peut-être pourrais-tu me pénétrer
si seulement tu savais m'étreindre
dans tes bras malhabiles
ou bien délicatement me savourer 
goutte après goutte entre tes doigts
malheureux tu serais noyé avant d’y arriver
et par ma noire profondeur asphyxié

alors tu me regardes têtu tu renâcles
comme ces marins au regard fin
qui me fixent en espérant un miracle
impossible surnaturel incertain
ce n’est pas le vol saccadé d'un fou de bassan
ni la nageoire éphémère d’un dauphin
ni l’arbalète stridente d’un poisson volant
qui peut les distraire de leur attente sans fin
ni même leur dire qui je suis vraiment

je n’ai pas de solution pour l’homme
je suis la question
je suis la source

météo marine

gros grain noir à l’horizon
inquiétude à bord
nouvelles données météo
perplexité
le marin cherche sa voie
moi aussi

mer hachée
voilier secoué
combien de temps sans respirer
le marin veut souffler
moi aussi

grand soleil et bon vent
le voilier trace son sillage
la mature siffle
les dauphins jouent
le marin sourit
moi aussi

et cette aube toujours
en majesté
mon âme en paix

fusion ici et là

le bateau et la mer
ici coins et recoins
à portée de main
là le plein le lointain
ici le fixe le solide
le rassurant
métal bois filin
là le fluide le mouvant
la métamorphose
ici la multitude des petits objets
utiles à la vie à la survie
là le désert de l’unicité

jamais il n’y eut pareille antinomie
et pourtant tout concorde
tout s’accorde
l’esquif et la houle
la voile et le vent
l’homme et la mer
fusion

en mer

la mer est mon horizon
le ciel mon toit ma loi
la houle rythme mon cœur
le bateau trace ma route
son sillage est ma lumière
ses voiles mon espoir
son carré ma maison
alors apaisé par cet univers
de la longue attente
au creux des heures
de veille et de merveilles
je dis à la lune
à la croix du sud
aux dorades perdues
au cormoran fidèle
je dis au monde ébahi
que pour être parfait
il ne manque que toi

sursis

état d’âmes de dame ou d’homme
dans ton voilier sur la mer ancre flottante
tu n’es qu’un sursis une vie latente
un passager de l’ombre buveur de rhum

tant d’autres ont vu ce que tu vois
passé et avenir sillage et cap mêlés
tant d’autres ont souffert et aimé
les mêmes moments sensations émois

infime grain imberbe rond
dans l'infinie répétition
que cherches-tu étranger
te demande l’océan
avec tes rêves ton fil des ans
et ton âme dérangée

je cherche la beauté la vérité
la pureté 
l’éternité
que toi seul peux me donner

bah répond l’océan
tu pourras sillonner tous les flots 
braver tous les ouragans
ton cœur est tout ce qu’il te faut

réceptacle

il faut marcher
sous ces arbres
sentir les parfums voler
voir les couleurs s’épauler
vibrer de cette vie multiple
l'énergie pure
faire le silence en soi
ne plus être
qu’un réceptacle absolu
des cadeaux de la forêt
de ses bruissements de larmes
qui vous font

mer et désert

la mer est un désert apparent
qui ne tient pas aux hommes
mais à l’histoire à l’éternité
la vague est un mouvement
une flamme
sans début ni fin
elle n'a qu’une vie de parcours
sans état
le vent n’existe pas
et pourtant il emporte tout
la mer est chinoise
une fois yin une fois yang
tout est changement

alors contemple et remercie
tu ne peux étreindre
ni le vent des ouragans
ni l’eau des océans
tout passe par tes mains
mais rien ne demeure
seul resteront dans ton âme
le goût de sel 
la pureté du vent du large
la brulure de l'aube

tu es né de cette eau
fluide et immatérielle
tu es né de ce vent
souffle et nomade

souviens-t'en

pendule

nuées nues qui oscillent au bout d’un pendule
pendant que le tic-tac las du temps remplit l’air
de douleurs de murmures et de corpuscules
qui s’enfoncent avec précaution dans la terre

petite fille qui roule au bord d’un abîme
pendant que l’écume mousseuse se retire
des rochers et que des arbres à haute cime
se balancent au vent comme un immense rire

souffle rauque des marées qui bat la mesure
pendant que l’air purifié nettoie les nuages 
désertés par les mouettes aux frêles allures
qui se jouent en riant d’un ciel bas sans images

paradis perdu

longtemps
je me suis enivré des effluves magiques
issues d'un pays irréel et magnifique
mêlant les lignes vertes les arbres tendus 
deux magnolias passagers un sequoia nu
les allées sableuses bordées de fleurs vivaces
les buis interminables et les herbes grasses
l'eau glauque de la mare où se perdait la pluie
le chant aigre et joyeux des oiseaux rouge et nuit

paradis de façade où l'on vit durement
chaque heure penchés sur la terre prodigue âcre
auteurs de courtes morts et de petits miracles
répétant leurs gestes pour les temps incessants
homme et femme créaient des beautés éphémères
inusables maillons de chaînes séculaires

dans ce lieu pourtant bien réel olympien calme
la lumière créait une effraction bizarre
causée par les couleurs et les ombres mêlées
nappant d'une teinte étrange le paysage
elle peignait les bois de zébrure filtrée
impossible au peintre indispensable à l'âme

longtemps 
après cette vie rare
évoquées d'une mémoire nébuleuse 
les images défilèrent en se bousculant 
dressant un long inventaire improbable
de lieux de sentiments d'instants insondables

vitres brisées de la serre miroir de vie
ample saut du loup qui n'aura jamais sauté
dernière porte au vert sombre infini
barre noire de la forêt qui vous appelle
balançoire qui porta ses gamins bercés
potager rangé des gens heureux besogneux
marronniers alignés dans une courbe douce
cheveux au vent d'une jeune fille à cheval
jaunes champs accueillants les blondes d'aquitaine
immense if parapluie aux longs bras de sorcière
 
et que dire encore de tous ces caractères

l’insolite apparence des murs 
les reflets ronds des fenêtres 
les pentes aiguës des toits 
la fierté des cheminées 
les persiennes bleutées 
les allées nichées sous les frondaisons ventées

et partout ces verts et tous ces gris 

dans ce lieu béni
où se croisent espoirs et tempêtes
tout finit en harmonie en vibration
accords soignés plaintes secrètes
à travers temps et générations

tout restera tout reste 
assidûment incrusté 
écrit en ribambelle
dans l'air vieilli par l'histoire 
dans le vent de la plaine et des forêts 
dans la terre et la poussière 
dans le cœur des mères et des amants
dans l'ombre choyée des enfants
riant et chantant en ritournelle

ici tout se fabrique et se noue 
entre âme et nature
la clarté et les sourires 
les ombres et les soupirs
la pluie et les larmes
le soleil et les drames
la nuit et la noirceur
les racines de la terre et du cœur
toutes les origines de la fusion
qui a enfanté ce monde à part suspendu
où même le soleil et la lune 
m'ont murmuré des mots doux

alors au dernier souffle de mon dernier soupir
quand j'aurai vécu de nombreux destins
pouvant retenir de mes nombreuses vies
tant de sommets et quelques abimes
un seul instant me viendra à l'esprit
celui-là insensé terrible
où je tournai le dos au paradis
comme dans un flash-back au ralenti
le moindre détail me reviendra

la porte grinçante se refermant sur son passé
la descente de l'escalier marches de tombeau
le bruit mécanique du dernier tour de clé 
et le silence soudain voilant la scène de son halo
dehors dans la cour mes pas broyant le gravier
la feuille morte chassée du pied
la grille que je repoussai dans son cri 
ma main tremblant sur le portail gris
et mon dernier regard qui tout embrassa
comme si tout allait s'arrêter
pour écrire en lettres de sang
le mot fin sur l'écran de ma vie de cinéma

j'ignorais pourtant ce jour-la
que vivant dans un riche présent
je porterai comme une offrande 
ces images et ces souvenirs
et surtout surtout j'ignorais 
que dans le cumul des années
submergé par le flux des nouveautés
je vivrai ma deuxième vie 
sans remords ni regrets
juste une infinie nostalgie

l'œil et la corne

tout un symbole
l’œil qui interroge
la corne qui menace
mais non
ce n’est qu’une vache
ruminant paisiblement
on imagine le pré et les pommiers
le troupeau et les cloches
le soir descend
et enveloppe la scène

marée dans la baie

dans ce lieu pécial
le paysage change sans cesse
les odeurs et les sons aussi
tout y est plus que vivant
l'endroit parle à l’âme
on y respire un air 
plus pur qu’ailleurs
la lumière possède cette acuité
cette transparence
qui cisèlent la mer et les rochers
pour finir au fond du cœur 
alors on pousse un grand soupir
de bonheur

vagues

on entend le roulement
des déferlantes ivres
la mer universelle
bat les rochers
sous un ciel contrarié
l’accalmie de lumière
y perce malgré tout
la cote n’est pas accueillante
la douleur est le prix de la beauté
la vague est ample écumante
prise d’un désir de tourbillon
les couleurs se répondent

fleur de jeunesse

nuances vives des couleurs
lignes assouplies des tiges
envie de rosée et de soleil
la fleur ne sait pas
qu’elle est belle
s’étirant dans le matin frais
elle épanouit sa force
comme la jeunesse
insoucieuse du lendemain
d’abord vivre
et sourire

limbe

le brouillard bruit de timbres sourds
d'ici je vois le tertre lourd
ses vies vivant un vain calvaire
la pluie gifle l'hiver en verre

l'if araignée ne cache plus
ses ailes bravaches poilues
le tilleul griffe un ciel en vrac
le train train dingue fend l'ubac

je vois le temps qui se délace
jamais je ne suis à ma place
je n'ai pas de présent qui m'aille
passé futur fétus de paille

c'est la minute où tout bringuebale et languit
tout s'arrête de penser le silence crie
je voudrais un océan d'âme vide et lent
portant le limbe d'olympe en fier firmament

les yeux fermés je voguerais sans un murmure
sans vague ni repos le cœur mûr enfin pur
personne ne sonnerait l'annonce demain
la vie moelleuse serait désunie sans fin

peut-être même se mettrait-on à pleurer
au poids des souvenirs lancinants arrimés
livrant sans fard leur vieux fantôme au dôme d'or
magique et transparent sous lequel on s'endort

halo qui luit

peu à peu la nuit se pare de noir et brume
s’emmitouflant dans son manteau d'ouate infernale
aux teintes bleuies de zinc rocher d'araignée
l'horizon s'enterre dans un brouillard sale
qui abrite un écheveau d'intimités
reliant le ciel qui pleure à la terre qui fume

désemparée par ce règne nu
où les couleurs de la vie se diluent
mon âme gémit désorientée
pleurant les mots refoulés
les émotions perdues
les sourires reclus
les sentiers lumineux qui se sont éteints
les paysages qu'elle n'aura jamais peints

mais elle fait plus que pleurer la serpillière
elle se tord de douleur la sorcière
elle s'arrache des tonnes de vies ratées
les murs de la nuit noire se recréent

alors dans le froid sombre qui hurle
où tout se tait
où rien ne plait
furtif un mouvement haut esquisse une virgule

ridicule
derrière son halo bleuté
la lune naïve tente une épopée
incertaine trouée de grisaille uniforme
ironique le cercle mal dessiné
s'élève péniblement sur des hommes
pour que mon âme s'y accroche
sans la moindre anicroche

je discerne enfin là-bas une lueur moirée
cible vacillante qui ne veut pas mourir
étendard fragile d'une révolte sans les soupirr
que je pourrai enfin brandir pour espérer

le halo qui luit a mis le holà à ma longue nuit

hôpital

sourire apaisant des blouses blanches
regards justes de compassion
merci merci hospitaliers
mais aussi l'attente l'attente l'attente
un autre temps un autre monde
trop de gens ici pas assez là
brancards sardines de couloirs
zombies sous perfusion
la vieille qui gémit dans une langue du sud
et ton corps qui t'échappe
ton nom même
patient porte ou patient fenêtre
l'interne sombre serbo-croate
à la tête de Nosferatu les oreilles le nez
qui se met à rire tout à coup et tu ris aussi
de ces mots qui te traversent comme des flèches
pour sceller ton destin
dehors rouge un énorme H pour l'hélicoptère
les voitures robots
les sirènes comme des cris
mais aussi le vent frémissant invisible et présent
dans les frondaisons miroitantes
la lumière d'automne n'a jamais été aussi belle
demain tu renaîtras c'est sûr

débridage miracle rocher

désir violent d'être
éclair et chemin
brisant les chaînes invisibles
respirant un air brut
insufflant l'énergie
dans mon corps mon âme
arides trop arides
gelant tous ces soupirs
et puis aussi

mille envies joyeuses
irradieraient mon esprit
raviveraient mon cœur
amers trop amers
clean je flânerais
le soir sous les nuages incertains
et peut-être deviendrais-je alors

romantique et souriant
obsédé guéri du paradoxe
cherchant la voie du zen
hanté par la compassion
et peut-être serais-je enfin
roc au gris éternel comme j'en rêvais

toc-toc dit l'herminette

ils sont devenus rares
les charpentiers de marines
c’est trop de travail
et de savoir faire
quelques bouts de bois
le bruit des rabots
le frottement du maillet à calfat
toc-toc dit l’herminette
gabarits quilles étraves étambots
et de belles formes jaillissent
petites ou grandes
à rame à moteur ou à voile
peu importe l’usage
les couleurs éclatent
et vogue la galère

pensées

jamais fleur
n’aura si bien porté son nom
on s’y perd on rêve
douceur et délicatesse
si c’était possible
on rêverait avec élégance
quel bonheur
pouvoir se poser
profiter pleinement
de cet instant magique
avant que le temps
ne reprenne son cours

il parle

il parle
de sa voix inimitable
si douce si forte
il joue des sourcils
comme il sait si bien faire
il nous offre son visage
paisible et tourmenté
c’est un monument
si proche si familier
incroyablement prégnant
inspiré habité

marche et musique

pas à pas note à note pulsions égrenées
pentes du haut et du bas douces effrénées
œil intérieur connecté sur le monde en soi
et les mains qui plongent ou font la balançoire

la marche et la musique une offrande et un cri
ton corps appuyé sur la matière et le vide
t'offre lentement une construction multiple
qui se déroule devant toi comme la vie

le cœur crescendo quand ça grimpe durement
double croche des pulsations tambourinées
et le soupir gai quand s'aplatit le chemin
pour que se joue la mélodie ensorcelée

le présent impérieux imprègne l'âme nue
tu n'as plus en tête ni futur ni mémoire
juste une singulière vibration qui enfle
enlaçant à travers toi le ciel et la terre

chaque mouvement possède sa propre note
le tout assemblé formant un destin unique
une harmonie assouvie rythmée par le souffle
et ce souffle pur est un espoir un arôme

ose l'audace de vagabonder
sur la voie subite qui se révèle
dans la nouvelle cadence imposée
par le monde arbitraire que tu crées

une voie rude et longue sinueuse
pleine de larmes rires de sueurs
qui découvre lentement ses richesses
écouter la vie la divine ivresse

et la voir naître plaisir permanent
grâce à cet aller-retour incessant
prendre et donner inspirer expirer
ce que tu crées provient de ce qui est

à chacun son pas sa note cri et bonheur
conception pure d'un moment d'éternité
la beauté ressemble à un puzzle dérobé
qui se dévoile quand les mains se lient au cœur

marcheur et musicien l'un et l'autre accompli
l'équilibre nait de ce groupe en conjonction
la sagesse découle de confrontations
auxquelles se mêle un petit grain de folie

l'amour de la vie inconnu qui t'envahit
te prend prestement dans ses cercles dans ses bras
pour t'emporter au-delà du bien et du mal
vers un monde nouveau où tout se réalise

le silence t'entourait comme le désert
il s'emplit maintenant de pulsations intimes
qui te relient à tous les peuples de la terre
et tu entends ton cœur profond battre à ce rythme

rythme et souffle plein et vide énergie
lumière et ténèbres souffrance et joie
effort constant âme et main pas à pas
musique et marche symphonies de vie

miroir de la montagne

ombre animée des sapins choyés par le vent
pentes bienveillantes à la longue blancheur
et ce silence or et bleu nappant les hauteurs
hantées d'aigles et de gypaètes seulement

là les couleurs et les mouvements se répondent
et se mêlent pour créer de nouvelles vies
de nouvelles formes et là de nouveaux cris
la nature n'est pas un temple elle est une onde

c'est le pays de l'âme aux deux penchants
celui des crêtes aigües noires et hautaines
qui défient les siècles et les vents
et un peu plus bas celui des courbes molles
qui sans cassure s'étendent langoureusement

la montagne est un miroir dans le miroir
vers le bas les lignes fusionnent et bourdonnent
vers le haut elles s'écartent et se taisent
la vallée absorbe tout dans son cirque

sur la neige il ne reste que le crissement de ton pas
rythmé par ton souffle étonné tendre
quand tu vois les traces de l'oiseau cendre
et que tu pleures ce qui se vit sans toi

les faitages des chalets créent des lignes brisées
qui se répètent comme un dessin d'enfant
fragiles hirondelles sur un fil crispé
vers l'adret les couleurs du bois s'avancent fièrement
et jaillissent de la forêt tels des avant postes
chacun niché sur son promontoire

au village le clocher bariolé proclame sa joie
les rues aussi ont une double nature
elles lancent des flèches vers l'horizon butant sur un mont
ou créent des entrelacs de mystères accolés

la force de cette unité vient de la multiplicité des plans
voici l'avant et l'après voici la nature et voici l'homme
voici le combat et l'harmonie la rage et la prière
ici on ne se perd pas on avance d'un pas ferme

le visage est celui de la terre et des roches
aussi tailladé aussi brun qu'elles
le sourire ressemble à la musique des rivières
l'éclat des yeux éclaire plus loin que toi

ici les gestes anciens ne sont pas oubliés
ni le passé des hommes acharnés
ici le temps ne s'arrête pas il bat
le tempo des pays éminents
où la lenteur est un art de vivre
où chaque pas compte comme une offrande
et si le soupir vient
un regard haut l'éteint

ici le temps respire au rythme des couleurs
et quand l'ancolie refleurit
l'homme s'ébroue et revit
la montagne est un miroir du bonheur

tic-tac

un jour le monde sera circulaire
tendre et rose et vert
les chemins se croisant
on se hélera d’une route à l’autre
en souvenir du temps
des longs sentiers creux
on marchera cote à cote entonnant
des chants d’amour et d’amitié
mais le temps ne s’arrête pas
il faut continuer de bâtir
pour parer les attaques
de l’horloge de la vie
tic-tac tic-tac tic-tac

karakoum

la vie est un désert de karakoum
un vent qui secoue les arbrisseaux malingres
le soleil coiffant tout comme un chapeau
et la piste qui court et s'efface

la vie est un désert de karakoum
avec son cratère qui fait boum
son canal large et droit survolé de buses infidèles
et l'éternel pêcheur venu de nulle part

la vie est un désert de karakoum
jaune sale et vert pâle
avec ses couleurs pas franches
tout est long et lent insaisissable
comme le sable

la vie est un désert de karakoum
sans ombre ni relief
le temps s'endort et rêve
rien ne finira jamais

la vie est un désert de karakoum
peuplé d'histoires cruelles
et d'espoirs sacrifiés
et l'homme avance
malgré tout

chênes verts

chênes verts dénoués de rustres restanques
soleil filtré créant un relief fractionné
terre ocre et âcre aux cailloux de rochers
grattée çà et là par quelques sangliers tenaces
les champignons se montrent insolents
les truffes se cachent évidemment
ici on les entend légers
des oiseaux sont heureux ils sont chez eux
l'air possède une densité spéciale
cristalline comme un sourire irréfléchi
ténébreuse comme la texture des sens inspirés
il faudra que tout reste ainsi
l'homme ne va rien changer à cette riante gravité
juste y ajouter le souffle de son passé
pour qu'il se marie à ce présent mature
juste un instrument de plus accordé
à la symphonie ambiguë de la nature

routes violettes

un jour les routes seront violettes
les prés roses et rouges
le soleil bleu
jouera sur la lumière et les ombres
on dansera sur les places
dans les villages éclatants
le sourire éclairera
la figure des gens
et les enfants riront
de ces couleurs nouvelles 
accolées au pays

port du sud

tous les bruits sont là
le gai klaxon des voitures
sur les quais agités
de mouvements variés
le boum-boum-boum 
des bateaux à moteur
qui glissent sur l’eau
le bruissement 
des filets de pêche 
enroulés à la poupe
les voix riantes
qui s’interpellent 
en crieurs de marchés
d’habitude un tableau 
c’est le silence
mais ici dans tous ses bleux
la vie même

voiles

des voiles dans tous les sens
aux géométries improbables
le vent fou nous fera 
perdre la tête
on le sait bien
puissance de l’allégorie
et de la métonymie
urgence de prendre ce voilier
partir avec lui loin
là-bas
gardant avec précaution
les voiles croisées
belle allure ce vent arrière
les marins le savent bien
mais difficile à tenir
comme la vie

pays de l'enfance

les roses trémières
illuminent le sentier
de ce pays magique
où volètent des fées
déguisées en fleurs 
les lampions éclairent
la pénombre des frondaisons
les arbres chantent à mi-voix
des berceuses qui parlent
de géants aux bottes d’or
c’est le pays de l’enfance

indices de table

rouge et blanc sur noir
prémisses de goût
promesses de futur soyeux
puissance de l’ingrédient
et de la sémiologie
dans ces fruits et légumes
posés négligemment
sur la table
tout reste à faire
et c’est tant mieux
prenons le temps

phare de l'île

parfois le temps s’arrête
le vent aussi
ils offrent une pause
entre deux tempêtes
l'occasion de respirer
de regarder dans le ciel
un nuage qui se rebelle
la mer s’est vidée
de tous ses bateaux
une autre séquence se vit
celle du silence
de la réflexion
profite de cet instant magique
la vie n’est pas ce que tu crois
bientôt il faudra te courber
sous les embruns à venir

cambrure

cambrure de toréador
hanches poussées vers l’avant
fières impudentes
comme pour te dire
regarde 
c’est moi qui donne la vie
je peux aimer tous ceux
qui partagent
empreints de compassion
car ils savent que je suis 
le désir 
et la beauté

diptyque

on ne sait si la feuille 
hésitante
s’envole ou descend
seule sa pirouette se dessine
dans le matin levant
l’oiseau picore sans vergogne
la terre grise et noire
plusieurs soleils
s'élèvent en même temps
pour chanter la joie
du jour advenu
briseur de grisaille
et d’humidité nocturne
dans sa danse quotidienne

métamorphose

la cigogne étonnée
regarde la guêpe
en mauvais état
sur le plancher
elle préfère les criquets
aura-t-elle le temps
de la manger
avant sa métamorphose
en vieille dame
à talons hauts
les vieilles dames 
ne mangent pas les guêpes

univers parallèle

dans un univers parallèle
la joie régnait en maitre
les poissons zigzaguaient
sur des vagues de folie
fanforonnes les algues jouaient 
de la trompette bouchée
la même substance
de légèreté douce
régnait dans l’eau et l’air 
riant de leurs bêtises
les êtres vivants 
déployaient leurs antennes
en étendards de victoire
c'était peut-être le paradis

enfant animal

méfiant 
toujours aux aguets
le singe pourrait être
un enfant animal 
qui se souvient 
de la souffrance
prêt à vivre 
à tout prix
malgré la jungle 
et le noir
il ravale ses pleurs
jamais tu n’oublieras
ce regard aveugle
pénétrant
qui te broie l’âme
et t’interroges
qui es-tu donc
vivant à moitié mort
qui n’ose parler de toi

yin yang

le yin dit au yang
qui es-tu d’autre que moi
être sans forme
de l’impermanence
qu’est la fleur sans le soleil
l’homme sans l’amour
il n’y a pas de réalité
rien que le parcours
sinueux et déchiré
du jour et de la nuit
la vérité n’est pas un trait

fouiller la surface (2)

j’écris pour fouiller la surface
des choses des gens indicibles
dans la sphère de l’invisible
au-delà des mots et des traces

rêveries d’un tableau abstrait
foisons d’un pays louangeur
tons de prélude en do majeur
cieux aux nuages éclatés

les mots m’empêchent de respirer
plongeant toujours plus loin
dans ce monde sans fin
j’écris mes visions en apnée

regard transperçant
main douce cachant un soupir
rages d’être torticolis de vivre
mort amère amer aimant

les mots cachent les tourments
les sons les camouflent
en appui sur le souffle
pour les contenir un moment

myriade de filandres fécondes
plus fortes que la matrice des heures
kyrielle de notes frappant à cœur
les bouts inconnus du monde

mes mots espoirs microscopiques
cailloux chassés par le vent
tournoyants cerfs-volants
échardes de bois transocéaniques

lignes de vie d’un navire pantelant
ni solutions ni échelles
je lance des passerelles
entre le rêve et le vibrant

mon texte va m’abandonner
voile s’évanouissant à l’horizon
gravant en moi un sillage profond
hors de ma vue il vivra à jamais

j’écrirai encore jusqu’à ma mort
et ce jour-là mes mots d’amour et d’or
tout contre moi je les emporterai
qui sait à qui ils pourront profiter

les nuages sauront-ils les aimer

version réécrite en vers de la version prose poétique (version 1) qui a reçu le j’écris pour fouiller la surface indicible
des choses et des gens
dans la sphère de l’invisible
au-delà des mots et des traces

mes mots ne sont pas des mots
ils sont la rencontre improbable
entre l’âme et la beauté
la volonté imparable
de peindre l’indiscernable hybride
de sentiments et d’émotions

je ne sais pas crier
tout juste murmurer
ma sincérité mon désir immanents

je cherche à créer
les rêveries d’un tableau abstrait
le foisonnement d’un paysage de recoins
la larme limpide d’un prélude en do majeur
les cieux aux nuages éclatés

je veux décrire
les yeux transparents grand ouverts
la main douce poussant un soupir
la mort amère si attirante
les rages de l’être à tous les âges
les folies de la vie tournis
j’écris pour me sauver de mes tourments
stopper leur cycle un moment
les voici suspendus en l’air par mes mots
qui les empêchent de retomber

d’un œil je les vois prêts à se ruer sur moi
alors je continue d’écrire en apnée
plongeant toujours plus loin
dans un monde sans fin

quand j’écris j’ai peur de mes mots microscopiques
mais je continue tant pis
porté par un espoir improbable
écharde de bois transocéanique
petit caillou à la fois dense et léger
chassé par le vent
cerf-volant hésitant
après s’être détaché de son fil
et qui tournoie en montant

mes mots forment une myriade
de filandres fécondes
plus fortes que la matrice des heures
une kyrielle de notes
frappant les cœurs des bouts du monde
où je ne suis jamais allé

j’écris pour lancer des passerelles entre les êtres
lignes de vie d’un bateau cherchant son cap
je ne veux pas d’échelles ni de solutions
je veux des rêves de la vibration

voile s’évanouissant à l’horizon
mon texte va m’abandonner
ayant gravé en moi un sillage profond
hors de ma vue il vivra à jamais

j’écrirai encore et encore jusqu’à ma mort
et ce jour-là mes mots d’amour et d’or
je les serrerai contre moi
je les emporterai avec moi
qui sait à qui ils pourront profiter

les nuages sauront-ils les aimer ?

version remise en vers livre de la version prose qui a reçu le 1er prix du concours Amavica 2022 - Mille poètes en Méditerranée - catégorie Prose poétique

tambour

mon cœur n’est qu’un tambour à battre la chamade
les chemins d’ornières s’y nichent à l’affût
j’ai perdu le désir des franches cavalcades
mon âme est traversée d'un brouhaha diffus

le rêve est panache fumée grise qui part
l’amour des mains vaincues dans leur quête du vent
le bonheur un îlot milieu de nulle part
le rire un souvenir de glace impertinent

libérée la montagne est une pirouette
les aigles justiciers dessinent un grand V
sous le soleil vitré miroir aux alouettes
je ne veux plus marcher sans savoir où je vais

comment abandonner l'humeur partie en vrille
l’inconscient devenu mise en abyme et feu
je veux du beau du vrai je veux des yeux qui brillent
ne plus être un vain chiot qui court après sa queue

peut-être un jour prochain finiront les méandres
du labyrinthe impasse et des esprits épais
du désordre naîtra un nouveau monde tendre
où l’on pourra enfin se reposer en paix

nous nous endormirons à l’heure où tout est calme
où le soir nous berce d'un souffle calfeutré
à nos pieds les gros chats joueront des amalgames
de laines arrachées d’araignées apeurées

les autres animaux se cacheront dans l'ombre
des chants de halage surgiront des remparts
l'océan apaisé hissera sa pénombre
et les bateaux joyeux leurs voiles du départ

l’amour la mort

Un jour, elle apparut sur la terrasse d’en face, s’installa dans le fauteuil, prit son livre et ne le quitta plus des yeux jusqu’au soir. Plongé dans ses propres tourments, il n’avait pas détecté sa présence jusqu’alors. Au bout de quelques jours, il avait repéré la routine : elle se montrait dans l’après-midi, glissant comme un fantôme dans la chaleur épaisse, trouvait le même coin d’ombre et n’en bougeait plus, la tête légèrement penchée sur le côté, vers les pages. Il ne pouvait distinguer les traits de son visage à contrejour, auréolé par la lumière blanche du soleil. Il l’imaginait jeune et belle, triste, cherchant à se consoler dans ses lectures, ou bien à oublier. Son amant l’avait quittée, c’est sûr et la vie ne possédait plus de sens pour elle. Lui-même vivait un désespoir abyssal. Elle était toujours seule, personne ne venait la voir, à part une vieille servante qui s’occupait d’elle. Solitaire lui aussi et n’ayant finalement rien d’autre à faire, il la fixait des yeux chaque jour un peu plus mais jamais elle ne fit le moindre geste signifiant qu’elle avait remarqué son manège. Alors il l’aima encore plus fort. Un soir où, à son habitude, la servante vint la chercher à la tombée de la nuit, il décida de déclarer sa flamme dès le lendemain. Cette idée le tortura et l’asphyxia toute la nuit. Mais, le lendemain, elle n’apparut pas. Il comprit alors qu’elle était morte et se mit à respirer de plus en plus mal. Il mourut dans la journée. Par hasard, ils furent enterrés tous les deux cote à cote, au fond du cimetière, contre le vieux mur en pierre rongé par les plantes. En quelques mois, le lierre recouvrit les deux tombes d’un même manteau, pour les réunir à jamais.

voir une autre version réécrite en vers libre
Conseil: une fois sur les poèmes, passez d'un texte à l'autre avec les flèches du clavier