lézard

si j’étais philosophe
serein sur mon muret
j'égrènerais des strophes
par les ans tempérées

je vivrais reposé
dans les effluves d’herbe
et des fleurs arrangées
en de subtiles gerbes

étendu sur mon lit
de galets et de mousse
les heures sans folie
me rendraient l’âme douce

ainsi libre d'envies
ni joyeux ni peiné
je jouirais de ma vie
pour des milliards d’année
 
Texte de Luc Fayard; voir la mise en scène, inspiré par la sculpture Lézard des murailles, d’Alain Courtaigne dans Galerie Amavero

mythe

la nostalgie de l’enfance
est le myhte du paradis
on s’imagine avoir vécu
l’innocence du monde
alors qu’on n’était que jouet
griffé par le hasard
bateau de papier
secoué par la brise du lac
cerf-volant échappé de son fil

l’inconscience angélique
suffisait à transcender
les silences et les sourires
les caresses et les comptines

l’infinie douceur de la peau
nous tenait lieu de cocon
son odeur tiède nous abritait
des miasmes du monde

quand avec le temps
qui martèle et rouvre
les cicatrices
on se rend compte
de la supercherie
qui nous a suggérée
un bonheur flou
l’odieuse découverte
nous fait un trou à l’âme

alors on ne sait plus
quelle fut l'enfance vécue
perdant l’équilibre
on marche en crabe ahuri
de la difficulté d’être adulte

et dans les mensonges
du souvenir
on ne garde en soi
que l’absence hurlante de réponse
à la seule question existentielle

la réalité de l’amour

parents chérissez vos enfants
et surtout montrez-leur
comment vous les aimez

Texte de Luc Fayard ; voir la mise en scène illustrée par des œuvres d'art contemporain dans Galerie Amavero

inutiles mains

quatre milliards d’années
à construire la vie
quelques décennies 
pour la détruire
il est trop tard
les mains ont beau
surgir de l’eau
magnifiques
pour crier au secours
et tenter de soutenir 
les murs branlants
de notre aveuglement
il est trop tard
rentrez sous l’eau
membres de l’espoir inutile
cachez-vous
laissez crouler le monde 
devenu fou 
Venise aussi mourra
campagnes et villes
se noieront 
ne faisant plus dans l’eau
que de petits ronds
s’amenuisant
et nos enfants pleureront

Texte de Luc Fayard inspiré par la sculpture « Support » de Lorenzo Quinn, à Venise (2017)

la lune pleure

je n’irai pas décrocher la lune
je la laisse où elle est
pour que perdurent mes rêves
les soirs de grise mine
quand je lève la tête
et m’imagine
un monde moins dur
aux vallons embrumés

bleutée au loin
dans mes nuits d’insomnie
elle m’envoie de son coin
des mots d’amour attendris

depuis des siècles
ni astre ni matière
la lune n’est que prières
supplications espoirs
larmes et joies
sphère aspirant
les émotions du monde
qui montent vers elle

surtout
ne pas la prendre
dans ses bras
qu’elle reste là-haut
au chaud
à nous regarder
la tête penchée

quel plaisir alors
de suivre sa courbe
dans le ciel rose
pour que la nuit durant
respirant autre chose
que le fardeau de l'âge
mon âme légère
s’élève jusqu’à elle
comme une feuille d’or
libérée de la gravité

vous ne le saviez pas
la lune parfois
verse une larme
mais ça ne se voit pas
ces nuits-là elle se cache
au fond des nuages

aujourd’hui la lune est triste
elle chante lasse
pour que les cœurs tendres
entendent son sélène soupir

il dit
pauvres humains
je vous aimais bien
mais vous avez cassé votre jouet
plus rien ne sera comme avant
aujourd'hui je ne peux retenir
ni les vents de l’enfer ni les raz de marée
vous mourrez par l’eau et par le feu
que vous n’avez pas su contenir

la lune c’est affreux
une nuit bientôt
va nous dire adieu
couchée pour de bon
loin du regard des hommes
implosant de mille cratères
aplatie comme une serpillère

alors sur la terre ronde
la mer en furie
pourra lâcher
ses vagues titanesques
et les vents tourbillonner
en arabesques
siphons libérant les tsunamis
de la fin du monde

regardez bien
la lune pleure
en son recoin
sur le malheur

Texte de Luc Fayard illustré par 32 œuvres d'art contemporain

nostalgie

quand les voix aimées se seront tues
elles ne laisseront de leur bruit
que le souvenir aigu
des brèches de la vie

plus jamais les rêves de la nuit
ne s'ancreront aux habits de l’enfance
ni les jours enfuis
aux rives de l’absence

à quoi bon pleurer
ou tourner en rond
les bons moments passés
jamais ne reviendront

c’est ainsi que naît la nostalgie
un envahissement progressif
comme un voile de brume
ruisselant sur l'âme

on ne meurt pas de nostalgie
avec elle on vit tous les jours
elle te suit comme une ombre
fidèle jusqu’à la tombe

même si au souvenir
des regards rompus
des rencontres inabouties
le regret sournois s’insinue

elle te dira que tu n’as pas vécu
comme tu l’aurais voulu
mais vollà la vie se nourrir
de joie de manques et avancer

chaque émotion produit une graine
chaque sourire un bout d’oxygène
ainsi se construit le labyrinthe
d’un destin à nul autre pareil

à la fin tu devras bien pourtant
assembler les pièces du puzzle
pour faire semblant de croire
à un accord possible

et si certaines éparses
ne trouvent pas leur place
dans le récit peint
entre en vide et plein

tant pis
c’est ainsi que tu vis
l’humanité de la folie
entre désir et nostalgie

Voir la mise en scène illustrée par 20 œuvres d'art contemporain dans Galerie Amavero

ma femme

ma compagne
à la grâce dénouée
des heures imparfaites
mon envie d’ombre 
où se cacher le jour
ma forêt de senteurs 
et de chuchotements 

mon fanal de brume 
ensorcelée
mon canal lent et droit 
au secret chemin de halage

mon horizon magique 
mer et vent mêlés
mon eau de source
rivière et cascade 
où s’abreuver

ma musique aux notes saillantes
blanchies par la lumière

mon sourire cicatrice
de l’aube flottante
ma couleur d’outremer
profonde et fière
ma tour du futur cerclée 
de nuages débridés 

mon infusion de mots 
tenaces cris de vérité
mon cœur de tambour
et de fanfare enguirlandée

mon rire impérieux
dans la tempête
ma voie de règne ensoleillée
mes yeux profonds de l’apnée

mon archange de paix
ma vie 
mon éternité

Hommage à Louis Aragon
Texte de Luc Fayard à voir dans Galerie Amavero illustré par deux nus peints à 60 ans d'écart : Big Study for Nude, de Tom Wesselmann (1976) et l'illustrissime Nu couché d'Amedeo Modigliani (1917)

la porte du tableau

le temps souffle comme le vent
qui n’offre rien pour s’arrimer
transmuant ton cœur élimé
en nuée de limbes mouvants

dans les ténèbres somnambule
tu ne sais sur quel pied danser
balbutiant et balancé
tu sursautes comme une bulle

grenouille sur un nénuphar
luciole perdue dans la brume
fleur de désir et d’amertume
voilier louvoyant vers le phare

suivant sa vocation ténue
la mémoire de tes dix doigts
cherche le toucher de l’émoi
et le frisson de l’âme nue

nuit et jour tu peins tu zigzagues
dans un serpentin de questions
un matin vient la solution
ravir les écumes des vagues

suivant ta foi ton idéal
tu fais éclore du tableau
une maison de terre et eau
dont tu es le héros final

étiré par ton repentir
un trait pareil à une eau-forte
sur la toile éclaire la porte
par où tu peux enfin partir

Hommage à Ou Tao-tseu (en japonais Godoshi) et Wang Fô

Texte de Luc Fayard, voir la mise en scène dans Galerie Amavero, illustré par l'oeuvre de Mimi Svanberg et celle de Xia Gui.
Poème deux fois primé : paru dans
L'Anthologie des meilleurs poèmes du Prix international Arthur Rimbaud 2022 et Flamme de Bronze du Prix Flammes Vives 2022/
Conseil: une fois sur les poèmes, passez d'un texte à l'autre avec les flèches du clavier