--> Amavero art et poésie

objets sur un bureau

nature morte
la vie est là
en résumé
et en désordre
quelques objets
sur un bureau
et tout est dit

hérité de ma mère
le mien est vieux et beau
avec son plateau
de bois et de cuir vert

dessus il y aurait

pas de crâne mais
la boussole de mon père
qui savait toujours où il était
elle ne me sert à rien
son compas de marin
à pointes sèches
pour tracer sa route
la mienne zigzague
dans les doutes

quelques livres bien sûr
témoins d’une autre vie
je lisais tellement
vorace jamais rassasié 
un bic on ne sait jamais
mais c'est jamais
il rouille
des câbles en tas de nouilles 
pour me relier au monde
par peur d’en être coupé
des écrans plein d’écrans
pour la même raison
écrire pour exister
ou pour oublier qu’on existe

une tasse de café sale
qui traîne persistante
ma seule drogue
les autres m’ont fait mal

et puis mes souvenirs
prégnants ou futiles
surtout les regards les odeurs
les strates empilées
de mon enfance rêveuse
sans bouger sans actes

et maintenant comme avant
mes heures passées seul
les yeux dans les vagues
d'un décor apposé
hier un mur grillagé
aujourd'hui la vallée verte

l’âme en constant débord
pressé par le temps
les mains sur le clavier
et affichés sur les écrans gris
les mots toujours les mots
qui racontent impassibles
la litanie de ma vie

Texte de Luc Fayard inspiré par la photo Still Life with candle de Pavel Mentz (voir son site mentzart.com ) que j'ai aussi comparé au tableau Things de Rosario de Velasco (1933) .
Voir les mises en scène sur instagram.com/lucfayard.poete et dans Galerie Amavero

aux pages citoyens

circulez y’a rien à voir
balayez-moi tout ça
notes futiles grinçantes
phrases inutiles trébuchantes
tableaux de mensonges
à quoi ça sert tout ça hein
rien que du temps perdu

taisez-vous
pas de sons pas de mots
ne parlons même pas des dessins
n’y pensez plus
et d’ailleurs
ne pensez plus
ou plutôt 
ne pensez rien
qu’on ne vous dise de penser
c’est à peine 
si vous avez le droit
de respirer 

allez ouste
mots notes
images croquis
pensées
tous à la poubelle
et qu’on retrouve enfin
de belles pages blanches
comme des plages sans touristes
et sans parasols
et surtout vides vides
débarrassées des parasites
venus d’on ne sait où
de derrière les mesures 
et les points d’exclamation
armés de bécarres
ou d’allégories les gueux

- mais la nuit
dans le noir
ils viendront
les parasites
comme des rats affamés
des serpents à sonnettes
les sans papier
les sans note les sans mot
ils se glisseront dans vos rues
et pendant que vous dormirez
ils fouilleront dans vos poubelles
derrière vos murs et vos maisons
pour s'enfuir avec des trésors
de sens et de beauté
dont ils feront des étendards
de toutes les couleurs
armes de la victoire finale
sur la fatalité

aux pages citoyens
noircissez-les

Texte de Luc Fayard inspiré par l’actualité de ce fabuleux dessin des balayeurs de notes , probablement sur une partition d’Eugène Ketterer, dessin dont je n’ai pu retrouver la source ; si vous l’avez, donnez-la moi s’il vous plait, j’ai horreur de publier sans sourcer. Merci. 
Voir la mise en scène dans Galerie Amavero

rouille

couleur de la vie
d’âme dolente
teinte graduelle
voleuse d’heures
poussière de larmes
et d’espoirs rancis
palette enrichie
de strates sensibles
lente alchimie
de la destruction
destinée inexorable 
des abandons fatals
comme si par avance
la trace fardée du temps
vouait chair et âme
à disparaître
mais parfois 
de cette liane 
ensorcelée
à la carnation 
rubigineuse
surgit le rouge sang
d’un cœur qui bat
comme une fleur 
plus belle qu’elle

Texte de Luc Fayard inspiré du tableau Accroche-toi  de Benoît de Senneville  
Voir mise en scène dans Galerie Amavero

Un brin

Un brin de soleil
Dans les cheveux du matin
C'est ton âme qui murmure
Quand tu vogues dans les rêves
De la grande vague du monde

Texte d’Emmanuelle de Dardel https://plumebis.ch/blog-de-poesie, inspirée par la photo  Jeune fille au bain d’Aline Kurth
Voir la mise en scène dans Galerie Amavero (lien dans profil instagram @lucfayard.poete) https://galerie.amavero.fr/p/un-brin.html

oublier le temps

tu sens le temps vibrer en toi 
comme un moteur chaud
à soubresauts incontrôlables
mi horloge mi comptable
et toujours à contre-temps

c’est comme si
au lieu de frémir
l’eau courait tel un zèbre
qui se tortille et se cabre
au lieu d’aimer
le cœur emballé froissait
les souvenirs pêle-mêle
dans un grand tintamarre
au lieu de s’élever dans le ciel
le nuage aplatissait sur l’horizon
ses formes alanguies

c’est comme si
au lieu de pousser la vie
le vent jouait avec les feuilles
pour les énerver
et ça monte et ça descend
et ça part en vrille
comme le fait ton âme 
avec tes sentiments
coincés dans la grille
de tes préjugés

le temps maître de l’univers
implose sans bruit
noircit comme un orage fou
fuit avec la pluie
se lisse paresseusement
comme un enduit mou

tu es pris au piège 
de l’avant-après
rien n’existe sans lui
même pas la poésie
ni la mémoire

tu voudrais l’arrêter 
profiter de l’instant magique
il te glisse entre les doigts
tu voudrais avancer
franchir une étape
il te bloque sans préambule
à un carrefour cornélien
où tu resteras interdit
prisonnier de ton petit corps
dans l’interminable indécis
qui va de la vie à la mort

n’écoute pas  les faux maîtres du temps
vendeurs de vent
gourous moins naïfs que toi
la solution existe 
secrète et fluide
fais silence 
entre au fond de toi
ne pense plus à rien 
respire

et quand tout sera 
calme limpide
dehors et dedans
tu auras oublié le temps

Texte de Luc Fayard illustré par Silence of the Ravine, d'Ethel Walker; voir Galerie Amavero; voir aussi sur instagram.com/lucfayard.poete
NDLR: Une femme nue pour illustrer la contrainte du temps et la nécessité de s'en libérer, pourquoi pas? Il y a dans ce tableau un calme intemporel, une attitude de contemplation, de libération, de pause dans le temps, de beauté pure et intemporelle.... qui vont bien je trouve avec le texte...
Conseil: une fois sur les poèmes, passez d'un texte à l'autre avec les flèches du clavier