Poème-affiche

Tous les parfums de l’Arabie,
tous les rêves du sommeil et de la veille,
toutes les aventures vécues ou imaginées,
toutes les expériences nées des œuvres à lire,
à voir ou à entendre,
tous les remous à l’échelle des océans
ou à celle du verre d’eau,
tout ce qui peut n’exister qu’à peine
ou ne pas exister
mais par quoi l’on existe...

Texte: Michel Leiris ; voir mise en scène dans Galerie Amavero avec la lithographie de Joan Miró

La vague de Camille Claudel

La vague devient chair sous le ciel dénudé,
Le long de son corps embrasé se perd le temps,
L’onde enserre la lumière de vert veinée,
Oblitérant de ses doigts le jour en suspens.

Lors, la vague émeraude vomit la colère
Dans la danse de ses lames effrénées,
Se pétrifie dans les coulures de l’éther
Son âme déchue où s’émiettent les trophées.

Les trois belles à l’entour de l’intempérance
Éclaboussent la vague de leur nudité,
Quand leurs cœurs ceints d’onyx vibrent dans les luisances.

La grâce susurre à la vague captivée :
« Sursois à briser mon âme qui bat encore
Dans la danse des corps où vacillent les ors ».

Texte de Laurence Sophie inspiré par la sculpture La Vague ou les baigneuses de Camille Claudel. Voir Galerie Amavero

les mots que j'aime

je ferai un tapis des mots que j’aime
pour que frissonnants tes pieds nus foulent
un grand désordre mué en poème
chavirant ton âme comme la houle

j’accrocherai les mots que j’aime aux arbres 
pour qu’en marchant tu en fasses des fleurs
réunies en bouquets de rose et marbre
veines gorgées de couleurs et d’odeurs

les mots que j’aime partiront au ciel
pour qu’en suivant leur vol tu les transformes
en nuages crémeux comme le miel
cerfs-volants dansant sur de libres formes

je ferai un voilier des mots que j’aime
je prendrai ta main avec eux en mer
et le soir nous goûterons nos poèmes
le soleil roux souriant sur nos vers

sais-tu les mots que j’aime seront là
quand je partirai vers le grand secret
créant une passerelle avec toi
où nous marcherons ensemble à jamais

Texte de Luc Fayard, illustré par Reading, de Julius LeBlanc Stewart et Les Chants de Maldoror, de Salvador Dali : voir les diffémises en scène dans Galerie Amavero, dans Poésie de l'Art et dans instagram @lucfayard.poete

vieux poète

deux fois trente ans
de mes mots flamme
épars au vent
me forgent l’âme

la litanie
du mot qui craque
écrit ma vie
le cœur en vrac

écrit pour le concours Litt'oral 2024 dont le thème était "J'ai trente ans".
Texte de Luc Fayard illustré par "Paris, les bouquinistes" d'Eugène Galien Laloue: voir la mise en scène dans Galerie Amavero et dans instagram @lucfayard.poete

énergie

d’où vient-elle 
cette énergie
à diffusion lente
dans l’esprit le corps
je connais
sa seule source 
la beauté pure
invisible sans forme
intouchable et vibrante
pour la sentir
je deviens ermite
assis sur la montagne
contemplant au rythme 
d’un souffle lent
la vallée de mon cœur 
j’y vois ma vie défiler
en pointillé
les passants des rencontres
n’y sont que des ombres
et enfin je les vois
les oiseaux libres et chanteurs
ravisseurs d’espace
dansant en cercle 
faisant la farandole
peu à peu ils se taisent
et s’en vont
au loin
planer en vol
longtemps
rétrécis à n’être plus qu’un point
alors je ferme les yeux
les bras tendus
tournant mes paumes
vers le bas
avec encore dans mes oreilles 
cette merveille
le chant des mésanges 
noires si aigu
c’est comme si 
j’embrassais
tout le paysage
c’est comme si 
l’énergie des monts
et des brumes
l’énergie du vent chaud
et humide
l’énergie des plaines
et des forêts
me traversait le corps
des pieds ancrés en terre
à la tête souriant aux anges

Texte de Luc Fayard inspiré par Bords de mer , de Hélène Averous, encre de Chine sur papier de riz,; voir la mise en scène dans Galerie Amavero et dans instagram @lucfayard.poete et aussi dans lespoetes.net

il faudrait

il faudrait que le vent
poussant les montagnes
et les grands icebergs
bâtisse le couloir
d'un passage abrité

il faudrait que la main
saluant comme une feuille
emporte avec elle
la pensée vers le ciel
dans un grand tournoiement

il faudrait qu’un sourire
pose du bleu sur le gris
venant calmer à point
les ardeurs opiniâtres
des accents aigus

il faudrait étreindre les arbres
pour que leur frémissement
nous parcoure le corps
nos pieds prenant racine
dans l’histoire du monde

il faudrait brûler les regrets
dans un grand feu de joie
pour que chaque crépitement
signe une victoire nouvelle
sur la fatalité

il faudrait que nos doigts
enfin rejoints créent
l'invincible lumière
empêchant la nuit
d'étendre son manteau

Finaliste du Diplôme d'Honneur - Concours Europoésie-Unicef 2023

Texte: Luc Fayard
Voir des versions mises en scène dans Galerie Amavero, dans Poésie de l'Art et dans instagram.com/lucfayard.poete

cadavre

il a peut-être rêvé 
d’un monde meilleur 
grâce à lui
il a peut-être aimé
la gloire et le renom
s’abattant sur lui

puis sont venus 
les glissements
les à-peu-près
face aux difficultés
rien ne finissait
comme il voulait

sentant le vent
se rafraîchir
il a commencé
à biaiser
roseau trop souple
à la bourrasque
mille excuses 
furent bonnes
pour ne pas faire
ce qu’il fallait
souvent
il tournait le regard
pour ne pas voir
les évidences

maintenant il a peur
de ce qu’il est devenu
mécréant lâche et mou
pantin de mots
et d’opérette
l’âme vide et lasse
il marche poussiéreux
ombre informe et sale
cadavre puant le regret
et ses pas traînants
l’emportent malgré lui
vers le tunnel noir



les portes de la nuit (2)

les portes de la nuit
sont prêtes à lever
devant moi sans un bruit
les voiles du secret

le chemin qui m’emmène
où je suis sans allié
enterrera mes peines
tout sera oublié
les gris et les blancs
les calmes et les vents
les secrets les non-dits 
les vallées et les tourbes
la magie de la courbe 
graveuse d’infini

par-dessus mon épaule
dans un dernier regard
je saurai qu’il est tard
et dans la grotte noire
le silence criera
le terminus des mots

les mains se délieront
de la beauté des choses
rendue évanescente
par la fatale pente
si longtemps virtuoses
les cœurs se soumettront

quand au son de mon deuil
je franchirai le seuil
des portes de la nuit
cerbères de l’oubli

je n’aurai qu’un regret
n’avoir pas su te dire
dans un plus grand sourire
à quel point je t’aimais

version envoyée au Prix international Arthur Rimbaud 2024

Conseil: une fois sur les poèmes, passez d'un texte à l'autre avec les flèches du clavier