pays rêvé

je voudrais
un ciel en labyrinthe
de petits boudins bleus
une rivière en ruban
d’un bleu presque vert
un pommier malingre
en pieuvre aux longs bras
une pomme parfaite
en disque auréolé
une ombre liquide
en trace d’encre
une herbe de poils jaunes
en tapis de mousse dense
une haie de plantes serrées
en long muret tenace
et le tout serait
mon pays idéal
rempli de traits
verts jaunes et bleus

Finaliste du Diplôme d'Honneur - Prix Europoésie-Unicef 2023

Texte : Luc Fayard
inspiré de
Apple Tree, de David Hockney
mis en scène dans Galerie Amavero

ombres de plage

large bande de frontière
entre terre et eau
matière changeante
élastique et malléable
territoire des errances
agité par le vent
troublé par la brume
filtrant les silhouettes
lieu d'existence plurielles
à l’écume frisée
et de soubresauts
du sable créateur
qu’importe le temps
il y a toujours une épuisette
et des corps occupés
dès le petit matin
infatigable plage
comme la vie

Finaliste du Diplôme d'Honneur - Prix Europoésie-Unicef 2023

Texte : Luc Fayard
inspiré par
Scène de plage, de Marie Deloume

différence

mi pingouin mi allien
bébé joufflu venu d’ailleurs
émouvant attachant
rondouillard
on voudrait le câliner
lui dire en le berçant
n’aie pas peur
le monde se méfie
des autres différents
apporte lui
ce que tu es
formidablement vivant
chaque regard nouveau
devient un grain de plus
dans la mer de sable
une teinte ajoutée
à l’infinie palette
étonne nous
chante ta chanson
crée ton chemin
ils viendront avec toi

Finaliste du Diplôme d'honneur - Prix Europoésie-Unicef 2023

inspiré de
Personnage, 1970, de Joan Miró
voir une mise en scène dans la Galerie Amavero

origine des mots

rien ne peut troubler 
l’origine de mes mots
ni le tam-tam des hommes
ni le fracas des vagues

ils viennent d’un lieu
protégé de la furie
indifférent à l’heure
insensible à la pluie

ce lieu mon âme 
secrète et orgueilleuse
chercheuse de beauté
dans l’existence

mes mots éclosent seuls
exfiltrés de la folie
avançant chaotiques
vers la ligne d’horizon

rien ne peut égaler
leur vérité ciselée
ni le chœur des sanglots
ni les tollés de joie

venus d’ailleurs
d’un autre temps
mes mots flânent
libres et fiers

sans suivre de chemin
créés par évidence
ils sont délivrance
ils sont le chemin

traceur de cercles
dans la ronde infinie
le porteur de mots
n’est pas un prophète

juste une graine de plus
dans la semence du monde
quelques gouttes pures
pour étancher sa soif

à l'instant de les recueillir
celui qui les boira
découvrira désaltéré
que sa nuit s’est embellie

le jour n’aura plus
la même lumière
et la vie sera légère
dans son cœur vibrant

Finaliste du Diplôme d'Honneur - Concours Europoésie-Unicef 2023

Texte : Luc Fayard
voir la version illustrée par
Un monde imaginaire, de Isaac Grünewald

rester debout

un beau jour 
vous trouvez une ruche de chaises
ce n’est pas comme les abeilles
vous ne pouvez rien en faire
pas de jus pas de substance
pas de pollen sur le bois
juste un vieux goût de cire
rien que le craquement du vent 
dans les barreaux branlants
elles sont là inertes
brinquebalantes
et vous vous dites
c’est çà la vie

un beau jour 
il en eut assez
trop de chaises chez lui
il commença à les jeter 
sans regarder par la fenêtre
mais elles refusèrent de mourir
et s’accrochèrent les unes aux autres
jusqu’à former un gros nid de chaises
les pompiers essayèrent 
tous les produits toxiques
mais ils n’avaient pas
d’extincteur de chaises

un beau jour 
la chaise reine
chauffée par le soleil de la terrasse
pondit quelques œufs de chaise
qui finirent par éclore
dans la lumière du printemps
mais une chaise grandit très vite
en quelques mois ce fut une colonie
qui déborda sur la façade
et descendit sur le mur
bientôt elle gagnera la rue
et se répandra dans la ville

un beau jour 
il se dit penaud
ne restons pas assis
s’asseoir est une perte de temps
le corps se tasse
l’esprit aussi
il enleva tous les meubles
les tableaux les réveils
et même les lits
il passa le reste de sa vie
debout dans l’espace nu
mais heureux

inspiré de Photo AFP. Une création de l’artiste Tadashi Kawamata sur la façade de l’immeuble de la Galerie Liaigre.

sans frontière

nulle ligne assurée 
entre terre et eau
entre bas et haut
pourtant
à chacun sa substance
sa texture sa couleur 
qui se relaient 
dans le passage invisible 
du fluide au solide
dans la prégnance humide 
d’un paysage à part
ici vibrent les sens 
en large palette
du musqué au salé
du sec au mouillé
le nez devant le pied 
l’odeur nous guide
on la hume 
perdu dans la nasse
seule la pluie pourrait
réunir les matières
dans la même brume
soyeuse et mystérieuse
ainsi va la vie 
brouillard tenace
sans frontière 
entre jour et nuit

Finaliste du Diplôme d'Honneur - Concours Europoésie-Unicef 2023

Texte : Luc Fayard
inspiré de
Palude, de Marie Deloume

éloge de l'ombre

bien sûr il a fallu 
que naisse la lumière
mais ensuite l’oublier 
définitivement
ne garder que les demi-teintes
et surtout les jeux les renvois
les non-dits les bégaiements 
avancer sur le côté 
balbutiant

laisser l’âme s’émouvoir de l’obscur
le cœur du soupçon d’un remous

quand ils fanfaronnent
les mots eux-mêmes sont vides
les yeux ne parlent que dans le vague
le sourire s’embellit de l’énigmatique

contempler les aspérités 
pour ne pas s’en blesser
lancer les perspectives en flèches
vers les frondaisons dansantes
ne rien croire d’abord
tout imaginer
écouter le vent 
quand il trouble la pluie
profiter de la fraîcheur 
entre jour et nuit
quand la vie prend le goût 
d’un grain de sel glissant
sur la peau  lentement

de l’amour 
ne retenir que ses frôlements
les débuts les bruissements
les senteurs de jeunesse
les longs silences rapprochés
l’attente poignante de la rencontre
l’éternité de l’instant

dans la nature 
et dans l’homme
étudier sans cesse 
le meilleur contraste
la ligne de fuite 
évasive et décidée
qui dessine l’arrière-plan

dans les mystères brumeux
déformer la silhouette du temps 
celle des passants
et de l’espace
suivre les traces 
des fantômes blancs

et sentir la liberté t’envahir
à pas de géant

Hommage à Junichiro Tanizaki

Finaliste du Diplôme d'Honneur - Concours Europoésie-Unicef 2023

illustré par 
Nocturne in Black and Gold - the Falling Rocket, de James Abbott McNeill Whistler ou bien par Mystère et mélancolie d'une rue, de Giorgio di Chirico

ronde des si

si le cercle est brisé
vais-je retourner sur mes pas
ou bien bâtir une passerelle

si les bouts scindés se relient
atteindrai-je mon départ
ou bien les traces d’un nouvel envol

si je franchis les traits de couleurs
verrai-je le ciel s'éclaircir
ou bien la terre sombrer

si la foule se presse en chemin
se tiendra-t-on vraiment la main
ou bien marcherai-je isolé

si trois notes franchissent la mer
entendrai-je une symphonie
ou bien le solo du désespoir

si je respire longtemps
sentirai-je une forme d’énergie
ou bien l’impermanence

dans l’infini du vide
le cercle ne dit rien me dit tout
je ne suis rien je suis tout

Finaliste du Diplôme d'Honneur - Concours Europoésie-Unicef 2023

Texte : Luc Fayard
inspiré par Cercle - Ascèse VIII, 2007 - Série: "Silencieuse Coïncidence, de Fabienne Verdier, à qui j'ai demandé une autorisation de reproduction; alors en attendant, je l'illustre avec "Disques de Newton", de Frantisek Kupka (que j'aime beaucoup aussi !)

anniversaire

il souffla si fort ses bougies
que le temps s’accéléra
l’espace se déforma
les couleurs se séparèrent
en demi-cercle
dans un crépitement joyeux
de rires et d’exclamations
on pouffa de tant de flou
il se dit serein
que c’était bon signe
pour vivre le reste de sa vie
moins normée

inspirée par une photo ratée de ALBS

cocon

grelottant dans le dortoir
elles s’étaient endormies
après frôlements
et cachotteries
serrées sous les couvertures
emmitouflées
elles s’étaient raconté
pouffant et frissonnant
des histoires gaies
de vampires et d’ogres
puis s’étaient tues
rêvant à leur maman
c’est dans ce cocon
recroquevillées
que le manteau du sommeil
les avait recouvertes
jusqu’à l’aube et sa lumière
s’il avait gelé dans la nuit nue
elles seraient statues

inspiré par Sculpture n°545, de Georges Saulterre (avec son aimable autorisation)

la raison du poète

je crée mes souvenirs
comme un artiste
repeint sa toile
l’avenir est un élixir
mêlant présent et passé

je ne suis que chimie
de pensées programmées
les mots mentent
ils existaient avant moi

mon cœur s’emballe sans raison
vers tous les cardinaux
j’ai perdu le goût de tout
je souris sans passion
ne contemplant rien d’autre
que l’intérieur de moi

et pourtant je respire j’existe
mais pour quoi
quel peut être le destin
d’un grain de sable volant
au moindre frisson
du large marin
les poussières ne peuvent
se donner la main

croyant vivre la même aventure
les hommes s'agglutinent flottants
dans les mêmes courants tièdes

la réalité n’a pas de géométrie universelle
la vérité est un leurre de l’histoire
l’amour un rêve fatal à l’indépendance
aveugle j’avance en automate
monté sur quel ressort

ni justice ni compassion
ni revanche ni haine
peut-être simplement
le désir de beauté
drapeau blanc surnageant du naufrage
pic vert coiffant la soucoupe des nuages
seul chemin vers une transcendance
qui se passerait de l’histoire et des signes
sans nul besoin de raison folle
un chemin sans étoiles
qui est tout
sauf une ligne droite

Diplôme d'Honneur - Concours Europoésie-Unicef 2023

Texte : Luc Fayard
voir la version illustrée par
Le Voyageur contemplant une mer de nuages, de Caspar David Friedrich

Conseil: une fois sur les poèmes, passez d'un texte à l'autre avec les flèches du clavier