paravent

la beauté glisse sur lui 
comme une goutte d'eau sur une feuille d'arbre 
quand il lève la tête 
il ne voit qu'une boule de feu 
mal aux yeux 
le bleu du ciel lui pèse d'un éternel ennui 
il ne goûte à rien 
tout lui est étranger 
il aimerait pourtant vibrer au souffle du vent 
frissonner aux rayons du soleil couchant 
être envahi par le sourire d'un enfant 
mais non tout passe rien ne pénètre 
il n'est qu'un paravent de la vie

seul

je sais que je suis seul 
des hectares à la ronde 
au milieu des arbres des oiseaux 
j’entends le gai clapotis de l’eau 
et bruire le vent rond 
je sais que je suis seul 
sous les nuages blanc et gris 
qui changent à tout moment 
la couleur du ciel 
la lumière de la terre 
et parce que je suis seul 
le miracle s’accomplira 
l’univers s’enfouira en moi 
je résonnerai de toutes vibrations 
mon souffle sera le vent
mon cœur le chant des ramiers 
et de la plante des pieds au dernier cheveu du crâne 
mon corps sera l’arbre enraciné la tête dans le ciel 
et quand tout sera consommé 
je hurlerai 
loup solitaire du haut de son mirador 

hélas la fusion n’a pas eu lieu 
mon âme imparfaite n’a pu se joindre à l’harmonie 
je suis resté extérieur à la symphonie 
pantomime ajouté à la beauté des choses 

il y avait un spectacle 
et je n'ai rien vu 
il y avait une musique 
et je n'ai rien entendu 

la nature n'a pas voulu de moi

jachère

sur le sol en jachère 
les branches sont cassées 
par des pas impérieux

chemin assombri 
ton mystère croit 
quand la clarté fuit
 
loin l'oiseau de nuit 
chante trop aigu 
pour régner ici 

arbre penché 
né de la terre 
tu y reviens 

lune en quartier 
tu luis si peu 
sur le sol gris

vent tu meurs 
faiblement 
sans un cri 

la nature 
est en peine 
emmêlant 

choses sens 
ombres sons 
incomplets 

ainsi va l'homme

feux de mouillage

les feux de mouillage des bateaux tanguent dans le noir 
grasses lucioles ils disent à la terre 
dormez braves gens tout est calme ici-bas 
oubliez la haine et vos petitesses 
ils disent au ciel 
bonjour étoiles bonjour planètes et trous noirs 
on est plus gros que vous 
on éclaire mieux 
et nous au moins on est utile aux hommes 

mais les étoiles en ont vu d'autres 
elles se moquent de ces nimbes prétentieux 
elles ont pour elles la nuit des temps et le big bang 
elles ont pris du recul sur la vie 
et la faiblesse des sentiments 
en intercalant des années-lumières 
entre elles et les hommes 
elles ont construit patiemment cette voûte visible
et démesurée 
cette toile d'araignée en pointillés 
ce labyrinthe éreintant 

la nuit étoilée d'un soir d'été au mouillage me happe l'âme 
pour l'envoyer valdinguer 
comme une bille en verre dans le flipper céleste 
j'entends ce dialogue vibrant entre le ciel et la terre 
entre l'eau et l'éther 
je suis le lien vital signifiant 
pour qui se rejoue à chaque fois ce drame féérique 

qui sait 
un jour un soir 
la nuit du ciel et de la mer 
ronde des rondes 
voûte des voûtes 
se penchera sur moi 
mère ample et douce et de sa voix 
grave et philharmonique 
longuement tendrement pleine de sens 
en choisissant ses mots et ses silences 
enfin bienveillante et altruiste 
elle me dira peut-être pourquoi j'existe

cri

je voudrais crier
aucun son ne sort
comme dans le tableau mille fois repeint
je voudrais pleurer mille larmes de mon corps
mais où sont-elles
la source est tarie

je voudrais qu'une femme me prenne dans ses bras 
longtemps 
sans rien dire 
en me chantant une berceuse africaine 

je voudrais qu'une brise fraiche 
frissonne le long de mon corps 
de la tête aux pieds 
et qu'à travers moi arc tendu 
elle tombe du ciel 
et retourne à la terre 

je voudrais sourires et bienveillance 
je ne parle même pas d'amour 
ni d'amitié 
juste un regard calme 
posé l'un sur l'autre 
se contempler dans son entier 
sans tout savoir 
sans ne rien craindre 

je voudrais être la source des élans 
faire sentir la chaleur que je peux donner 
prends ma main 
sens ma peau 
mon cœur 

je voudrais tout donner de moi 
tout partager 
prends moi 
ne me laisse pas 
sois nourrie de mon souffle 
je ne sais pas parler 
tu le vois bien 
pardonne moi 

j'espère le jour où tout sera clair 
évident 
le jour où j'arrêterai de crier

amour et mer

la mer est musclée
le vent impétueux
le voilier ne lutte pas
il se faufile entre deux ondes
il ne peut vivre ni jouir sans elles
il peut mourir à cause d'elles

pour garder le cap final
il faut corriger la barre à tout moment
en anticipant les mouvements du bateau
régler la voilure au plus fin
un cran de trop et l'on ira moins vite
parfois tirer des bords
le chemin le plus direct n'est pas le plus rapide
et surtout il existe uniquement sur la carte
dans l'utopie
rarement dans la vie

regarder le ciel changeant
ses nuages insolites
tapoter le baromètre
en déduire l'avenir météo
qui seul décidera de la prochaine escale

réparer sans cesse ce qui s'abîme et se casse
remplacer à chaque fois
par plus fort et plus durable

la vie à bord est vigilance et bienveillance
on compte l'un sur l'autre
un marin seul est un homme mort
il faut souffrir en silence en espérant le jour qui vient
le soleil qui se lèvera seul
dominant la mer
et qui balaiera tous les doutes
et les brumes du passé
la mer et l'amour c'est pareil

accent aigu

tu portes dans ton nom
un a accent aigu 
comme seuls sont aigus 
les chants d’amour fou 
toi le don de Dieu 
tu es née princesse 
et le monde t’appartient déjà 
tous les regards tournés vers toi 
te disent leur passion et leur joie 
tu as les joues d’un bonheur si plein 
le dessin de lèvres si fin 
que ton âme sera grande et fière 
si forte et douce et belle 
tu seras l’éclair et le temps 
comme l’eau la mer et le vent 
ces joues ces yeux ces lèvres 
ont agrandi la lumière 
dans les yeux de ta mère 
qui te couve princesse bébé 
comme jamais ne fut couvé un enfant 
ton blason aux deux couleurs 
flottera sur le monde à toute heure 
comme un étendard d’amour 
une porte ouverte dans les murs 
ce monde que tu regardes déjà 
tranquille et forte 
gourmande et sereine 
ce monde là tu en seras reine

réalité

je vois mon bureau l’écran la vieille fenêtre et sa vitre sale 
le trait de zinc impuissant à protéger la terre trempée 
je vois le buis rigide et fort les plates-bandes décharnées 
qui renaîtront pourtant une femme intrépide le sait 

je vois l’herbe vert et marron rase et bosselée 
la mare immuable désertée par les canards 
plus loin le saut du loup les champs et les forêts 
je ne vois personne dans tout ce paysage 

tapis les oiseaux pleurent les corneilles sont lasses 
les lapins s'emmitouflent le cul blanc apeuré 
et les sphères de la terre brassée par les taupes 
dessinent les toits aériens d'un labyrinthe caché 

puis je vois le ciel gris et noir qui prend toute la place 
le jeu des ombres sur la terre embrumée 
la lumière blanche transperce les nuages 
c'est bien moi le seul homme de cette vie animée 

je crée cet univers vibrant de mille souffles mêlés 
qui entrent en moi pour nourrir ma passion 
plan après plan tout n'est qu'extension 
je deviens herbe champ oiseau arbre forêt

lili la lune là

Lili regarde 
la lune danse 
pour toi et moi 
la lune est là 
couchée en niche 
la lune vit 
dedans sa mue 
la lune a bu 
fâchée en nage 
la lune à l’houx 
mouille son dos 
la lune à l'eau 
se fout du loup 
la lune lit 
puis se rendort 
la lune luit 
et rit là-haut 
lune qui ment 
jamais faucille 
tu es marteau 
qui frappe les 
douze longs coups 
à la minuit 
fais donc comme elle 
et vit la nuit 
quand il fait noir 
dessous la lune 
les chats sont gris 
et les regrets 
aussi Lili

voile transparent

J’ai vécu ce moment incroyable
La dernière fois où sa poitrine s’est soulevée
Je n’aurai jamais imaginé cela
Et malgré tous nos débats nos conflits
Malgré surtout l’attente vaine et le non dit
Un voile gris s’est abattu sur ma vie
Les gens les objets les paysages ont perdu du relief
Vivre est devenu un film en sépia
Où les couleurs ont fondu
Comme dans un tableau de Turner
Comment supporter le poids de l’invisible
Marcher dans un monde sans liesse
Où le rire se fend
Où le soleil se rend
Vous rêvez au ralenti dans des rues inconnues
Sans savoir où aller
Parfois vous reconnaissez quelqu’un
Sans pouvoir lui parler
Que dire
La douleur givre et vous pétrifie
Longtemps la situation sera figée
Dans cette vie atrophiée
Puis la renaissance viendra par les sons
Chaque jour ils seront plus nets et les contours aussi
Vous marcherez plus vite dans des rues connues
Aux visages amis vous direz bonjour
Gaiement sans retenue
Le voile sera chaque jour plus transparent
Et enfin un beau matin le soleil est là
L’invisible n’est pas remplacé
Il s’est installé dans votre cœur
Et vous vivez avec lui en lui souriant
Avec lui se sont éteints
Les regrets les reproches les jugements
Il ne reste que l’amour
Il ne reste en vous
Que du beau du chaud
Du doux du lisse et du fluide
Le temps est une merveilleuse machine
A magnifier le passé
Et c’est tant mieux

dialogue sur la beauté

Pourquoi demanda l’homme en regardant le ciel
Un jour qu’il avait peur des éclairs de feu
Sans réponse il créa Dieu
Et Dieu se vengea d’avoir été dérangé
Il donna à l’homme la haine et l’intolérance
Et c’est ainsi que les jours de fureur reviennent
Où les hommes s’entretuent au nom de Dieu
Dans le sang du sang
Pour les siècles des siècles
Mais Dieu donna aussi à l’homme le goût de la beauté
Si futile dans un monde de survie
Si utile pour des débats infinis

Mais pourquoi Dieu a-t-il fait cela

Le monde doit être bon ou mauvais
Car il lui faut des règles pour s’organiser
Mais il n’a pas besoin d’être beau ni laid

A quoi peut servir la beauté

Les anciens y voyaient une marque de divinité
Tout éphèbe était fils d’Apollon dieu des Grecs et des Romains
Mais pourtant
Beauté en deçà des Pyrénées laideur au-delà
Beauté éphémère beauté éternelle
Pour Hegel elle n’existe même pas à l’état naturel
Elle est création de l’homme
Vision fugace dans un œil désoeuvré
La beauté ne règle rien ne résout rien

Mais que serais-je sans elle

Pour moi elle fume elle bouillonne elle explose
C’est un volcan une irruption
La beauté c’est mon amphétamine
Mon graal ma quête ma luxure
Je lui cours après depuis ma naissance et même avant j’en suis sûr
Quand je n’étais encore ni homme ni femme
Dans le ventre fécond de ma mère

L’ai-je jamais rejoint
Ai-je jamais fusionné avec elle

Mais non
La beauté n’est qu'un désir
Elle est toujours là à portée de cœur
Elle court plus vite que moi en minaudant chafouine
Mais c’est ça que je veux
Telle sera mon épitaphe sur ma tombe ni belle ni laide

Il passa sa vie à vouloir la beauté
Est-elle auprès de lui maintenant

Nul autre que moi ne répondra
Et seuls ceux que j'aimais pourront m'interroger

allié

la neige n’est pas l'eden
elle est un autre paysage
elle n’habille pas elle transforme
le laid l’inutile l’inconnaissable

objets éléments souvenirs
tout se fond dans sa beauté
l’arbre devient totem la forêt montagne
la blême prairie un lac infini
qui vous invite à la mélancolie

ne cherchez pas de contours connus
vous avez changé de lieu de siècle
le temps est à l'envers la modernité enfouie
il ne reste que l’homme
face à la nouvelle nature
froide et chaude une et multiple
où tout est relié sans rupture

seule chaîne avec l’horizon de l'au-delà
esquisse d’éternité dans un grain de flocon
que le blanc a dessiné d’une seule envolée

la neige est un allié
pensez à sa force qui vit en secret
et quand vous serez seul ici-bas
cherchez-y l’harmonie du temps qui va
prenez la dans vos mains et soufflez
Conseil: une fois sur les poèmes, passez d'un texte à l'autre avec les flèches du clavier