jachère

sur le sol en jachère 
les branches sont cassées 
par des pas impérieux

chemin assombri 
ton mystère croit 
quand la clarté fuit
 
loin l'oiseau de nuit 
chante trop aigu 
pour régner ici 

arbre penché 
né de la terre 
tu y reviens 

lune en quartier 
tu luis si peu 
sur le sol gris

vent tu meurs 
faiblement 
sans un cri 

la nature 
est en peine 
emmêlant 

choses sens 
ombres sons 
incomplets 

ainsi va l'homme

feux de mouillage

les feux de mouillage des bateaux tanguent dans le noir 
grasses lucioles ils disent à la terre 
dormez braves gens tout est calme ici-bas 
oubliez la haine et vos petitesses 
ils disent au ciel 
bonjour étoiles bonjour planètes et trous noirs 
on est plus gros que vous 
on éclaire mieux 
et nous au moins on est utile aux hommes 

mais les étoiles en ont vu d'autres 
elles se moquent de ces nimbes prétentieux 
elles ont pour elles la nuit des temps et le big bang 
elles ont pris du recul sur la vie 
et la faiblesse des sentiments 
en intercalant des années-lumières 
entre elles et les hommes 
elles ont construit patiemment cette voûte visible
et démesurée 
cette toile d'araignée en pointillés 
ce labyrinthe éreintant 

la nuit étoilée d'un soir d'été au mouillage me happe l'âme 
pour l'envoyer valdinguer 
comme une bille en verre dans le flipper céleste 
j'entends ce dialogue vibrant entre le ciel et la terre 
entre l'eau et l'éther 
je suis le lien vital signifiant 
pour qui se rejoue à chaque fois ce drame féérique 

qui sait 
un jour un soir 
la nuit du ciel et de la mer 
ronde des rondes 
voûte des voûtes 
se penchera sur moi 
mère ample et douce et de sa voix 
grave et philharmonique 
longuement tendrement pleine de sens 
en choisissant ses mots et ses silences 
enfin bienveillante et altruiste 
elle me dira peut-être pourquoi j'existe

cri

je voudrais crier
aucun son ne sort
comme dans le tableau mille fois repeint
je voudrais pleurer mille larmes de mon corps
mais où sont-elles
la source est tarie

je voudrais qu'une femme me prenne dans ses bras 
longtemps 
sans rien dire 
en me chantant une berceuse africaine 

je voudrais qu'une brise fraiche 
frissonne le long de mon corps 
de la tête aux pieds 
et qu'à travers moi arc tendu 
elle tombe du ciel 
et retourne à la terre 

je voudrais sourires et bienveillance 
je ne parle même pas d'amour 
ni d'amitié 
juste un regard calme 
posé l'un sur l'autre 
se contempler dans son entier 
sans tout savoir 
sans ne rien craindre 

je voudrais être la source des élans 
faire sentir la chaleur que je peux donner 
prends ma main 
sens ma peau 
mon cœur 

je voudrais tout donner de moi 
tout partager 
prends moi 
ne me laisse pas 
sois nourrie de mon souffle 
je ne sais pas parler 
tu le vois bien 
pardonne moi 

j'espère le jour où tout sera clair 
évident 
le jour où j'arrêterai de crier

amour et mer

la mer est musclée
le vent impétueux
le voilier ne lutte pas
il se faufile entre deux ondes
il ne peut vivre ni jouir sans elles
il peut mourir à cause d'elles

pour garder le cap final
il faut corriger la barre à tout moment
en anticipant les mouvements du bateau
régler la voilure au plus fin
un cran de trop et l'on ira moins vite
parfois tirer des bords
le chemin le plus direct n'est pas le plus rapide
et surtout il existe uniquement sur la carte
dans l'utopie
rarement dans la vie

regarder le ciel changeant
ses nuages insolites
tapoter le baromètre
en déduire l'avenir météo
qui seul décidera de la prochaine escale

réparer sans cesse ce qui s'abîme et se casse
remplacer à chaque fois
par plus fort et plus durable

la vie à bord est vigilance et bienveillance
on compte l'un sur l'autre
un marin seul est un homme mort
il faut souffrir en silence en espérant le jour qui vient
le soleil qui se lèvera seul
dominant la mer
et qui balaiera tous les doutes
et les brumes du passé
la mer et l'amour c'est pareil

Conseil: une fois sur les poèmes, passez d'un texte à l'autre avec les flèches du clavier