grandiose
sublime
définitif
j’accepte de mourir
bien obligé hein
mais attention
sans souffrir
ni finir gâteux
eh pourquoi pas
quand on désire très fort
quelque chose
et que ça se produit
qui peut prouver
d’où viennent
ce hasard télépathique
ce miracle biologique
cet esprit œcuménique
qui sait
dans ces conditions calmes
mourir sans état d’âme
ne serait rien d’autre
qu’un passage obligé
imperceptible changement d’état
une fois je respire
une fois je ne respire plus
à peine si l’on voit la différence
quelqu’un dirait tiens il est mort le vieux
comme s’il disait tiens il pleut
personne ne pourra discerner
ce grain de sable envolé
dans la tempête cosmique
seul souci
je ne veux pas faire de peine
à ceux que j’aime et qui m’aiment
à ceux-là je dis
oubliez-moi
vous allez voir
c’est plus facile qu’on croit
et rapide
oubliez-moi
un peu plus chaque jour
où que je sois
l’oubli tranquille et progressif
seule solution à la vie après la mort
oubliez même
que je vous aime
si mal d’ailleurs
que ça n’en vaut pas la peine
oubliez mon visage et ma voix
fragiles fusibles de l’être
oubliez mon âme aussi
incongrue sans relief
si peu inoubliable
mots volatiles
émois dociles
quand je serai mort
mon être sera
sans importance pour vous
soit il vivra sans vous
soit il n’existera plus
mais vous n’en saurez rien
oubliez les moments vécus ensemble
créations de l’atomique hasard
oubliez-moi
de haut en bas
de dos de profil de face
oubliez-moi
sans effort
avec le temps qui efface
les minuscules traces
et quand vous m’aurez oublié
vous verrez
vous vivrez mieux
sans vous poser la question
de savoir si j’existe encore
quelque part
quand je serai mort
j’aimerai vous dire où je suis
je vous dirai
que je vous aime encore
que c’est vous
qui m’avez fait exister
vos pas
votre souffle
vos bonheurs
et même vos souffrances
qui devenaient les miennes
je n’aimerai pas mourir
sans avoir dit aux gens que j’aime
que je les aime
j’aimerai vous dire
là-bas
dans cet ailleurs inconnaissable
que je pense à vous
mais du néant c’est difficile
et sinon
si jamais je pouvais vous parler
je serais sans doute surveillé
par un vieillard grincheux
comptable pointilleux
de mes grands et petits péchés
quel ennui mon dieu
mes amis
un dernier mot
celui-là ne l’oubliez pas
même si vous devez oublier
qu’il vient de moi
une expression tellement banale
qu’elle passera inaperçu
après tout ce temps perdu
je me sens moins nu
je sais enfin comment il faut vivre
moi-même je n’y arrive toujours pas
autruche
baudruche
mais je le sais
je le scande
il faut
goû-ter l’ins-tant pré-sent
à tout moment
comme s’il était unique
sans après et sans avant
goûter d’un geste laconique
l’ici et le maintenant
du karma bouddhique
par essence par définition
le monde n’a pas de sens préexistant
c’est vous qui le lui donnez
respirez
simplement
tissez vous-même
votre lien aux autres
devenez votre univers
en couleurs
rose et vert
souriez
c’est plus difficile
mais ça détend
faites le plein
de l’instantané
je regrette tellement
de ne pas l’avoir fait
pour moi c’est trop tard
un vieux ça ne pleure pas
ça geint
ça se souvient
quand ça peut
je crois que je mourrai sans regret
mais pas sans peur
j’ai peur de la peur de mourir
je me vois essayant de me raisonner
si j’ai encore ma tête
voyons c’est simple
soit il n’y a rien et alors basta
paix aux morts et vive les vivants
soit il y a quelque chose
et ce quelque chose
prend tellement de formes inimaginables
foldingues
énigmatiques
qu’il ne sert à rien de s’énerver
parmi les scénarios alternatifs
je me regarde et je me dis
peut-être pas tout de suite le paradis
mais l’enfer quand même non
ce n’est pas pour moi
j’opte pour la probabilité
du purgatoire
en mesure conservatoire
mais combien de temps
on s’en fout
le temps n’existe plus
de quoi te plains-tu
homme veule et nu