le soir tombe sur Lanzarote

le soir tombe sur Lanzarote
la belle paresseuse
endormie comme une huître

les traits noirs des vagues
dessinent une portée de notes 
de musique marine 

d’un ciel au bleu qui se fonce
narcisses alanguis
trois nuages se pâment dans l’eau

transparent l’air empli de silence
laisse les amants entendre
leur cœur qui bat qui bat

au rythme d’un même soupir 

Texte: Luc Fayard
inspiré par une photo de C.F. mise en scène ici

mort j'écrirai encore

je vois j’écris je sens
que se forgent les mots
les plus forts les plus hauts
dans mon âme mon sang

je crée un autre monde
où vivent les amants
voluptueux du vent
qui tournoie dans la ronde

rejoignez-moi marchons
dans les limbes l’éveil
les miroirs des merveilles
les yeux sur l’horizon

là où la vie est pure
comme un air de désir
échappé du sourire
messager des murmures

et même si je sens
que la rue triste et noire
n’offrira rien à voir
que le monde n’attend

là j’écrirai encore
mes mots d’amour empreints
des beautés du chemin
mort j’écrirai encore

Texte: Luc Fayard
mis en scène dans Galerie Amavero

Trois fois murmuré

Je serais ce violoniste
Qui joue à la fenêtre
Derrière les volets bleus
Ma musique monterait jusqu’aux nuages
Et la tristesse glisserait
Sur mon costume jusqu’à terre
Où elle dessinerait une tache de deuil.

Trois fois murmuré
Trois fois dessiné
Trois fois perdu
Il est là dans mes rêves verts
Il est là dans les rues violettes
Il est là dans la vie noire.

La beauté sortirait à peine de l’eau
Je viendrais la sécher
Avec des éponges bleues.
Je jetterais à ses pieds des bouquets
Trop vite coupés.
Et je pleurerais de son parfum évanoui.
Elle ne bougerait pas,
Ni statue, ni femme,
La beauté lointaine sortie de l’eau.

Trois fois murmuré
Trois fois dessiné
Trois fois perdu
Il est là dans mes rêves verts
Il est là dans les rues violettes
Il est là dans la vie noire.

La souffrance tombait de ses épaules arrondies
Sa robe de lin décelait les sanglots accumulés
Elle se taisait et retenait ses mains sur ses cuisses fermées.
Greta sortie de l’enfance bourgeoise
S’enferme dans le deuil du désir.

Trois fois murmuré
Trois fois dessiné
Trois fois perdu
Il est là dans mes rêves verts
Il est là dans les rues violettes
Il est là dans la vie noire.

Texte: Corinne Valleggia
inspiré d'Henri Matisse: Le Violoniste - Le Luxe - Portrait de Greta Prozor
mis en scène dans Galerie Amavero

Le Vénérable des chênes

Le vénérable des chênes, la plainte du vent dans la chevelure des cyprès, la pluie qui incante sur le toit vieilli d’une grange : tout, je veux tout garder de cet automne que je vis à cloche-pied et en bottes en caoutchouc et qui me mène gaiement à mes cinquante ans, ce printemps de la sagesse au goût d’enfance et de madeleine de Proust.
Dans ce terrain de vie sublime et cruel qu’est le monde, je déclare avec force qu’il nous faut faire feu de toute joie.
Oui ! Vivre jusqu’à l’ivresse, tirer le vin du plaisir jusqu’à plus soif, refuser la pesanteur du présent qui fige et sclérose dans un désenchantement mortifère et aimer chaque jour ses inspirations miraculeuses et ses expirations délivrantes.
L’âme saura-t-elle retrouver l’émerveillement des premières fois ?
Aimer est simple.
Il suffit de jeter sa tendresse infinie vers chaque acteur du vivant, de l’arbre à l’oiseau et de l’oiseau à l’homme.
L’homme dans toute sa pluralité.
C’est d’abord rencontrer le singulier et la magie en soi.
C’est tomber en amour pour l’âme que l’on abrite.
S’aimer !
L’aventure de toute une vie que de se défaire des attentes d’autrui, de cesser d’espérer ce qui n’attend que d’être conquis, de guérir de ce qui parait inconsolable.
A force d’abandon, la femme que je suis a retrouvé la fillette espiègle qui, du haut de ses huit ans, maîtrisait la nuit et les dragons de la rivière de sa grand-mère, l’enfant rêveuse qui cherchait le monde derrière le miroir énigmatique des flaques et sautait à pieds joints dans l’inconnu.
C’est tout un apprentissage, adulte, de redevenir un enfant.
Relisons donc le Petit Prince, du grand émerveillé devant l’Éternel qu’était Antoine de Saint-Exupéry.
L’enfance est le vivier inépuisable des possibles, presque une résistance dans un temps qui l’écourte et l’ébrèche comme pour nous empêcher de profiter de ses trésors.
Alors, soyons vieux mais soyons fous.
Dansons comme des funambules sans penser à la chute.
Que le jour qui point vous soit fête.
Je pars jeter mes souliers dans les flaques.

Mis en scène dans Galerie Amavero
Texte : Virginie Roques
Œuvre : Childhood - The Then Largest , de Hilma af Klint

Le Jeu de l'arbre

Un arbre planté dans un square
Ombrage les boulistes du soir.
Se prenant parfois un coup de métal,
Il tient bon lorsque ricochent
Sur ses écorces solides
Des boulets reflétant
Ses racines sur la terre noire.

Et dans ce square vivant
Des bancs attendent des conquêtes,
Cœurs mûrs, seuls ou entourés,
Regardant les joueurs
Faire vibrer le sol
Jusqu'à la pointe des cimes.

Mis en scène dans Galerie Amavero
Texte: Paul Artaut
inspiré de l'œuvre: Voyage urbain, de Lucas Ribeyron

Korax

Moi, j’aimerai être un corbeau,
premier initié du dieu taureau,
tout droit venu d’Orient,
directement de l’ancien Iran.

Moi, j’aimerai être corbeau,
Initié dans le respect
des secrets de ces solides
amitiés

Moi, j’aimerai être corbeau.
Mithra ne veut pas
qu’on parle de tout ça.
Être sans voix
Fait donc de moi un roi

Mis en scène dans Galerie Amavero
Texte : Hugo, poète sans voix #hugopoetesansvoix
Inspiré de : Cop 27 – Autoportrait, de Jam -  Toile sur chassis -  Techniques mixtes fusain, encre, acrylique, café - 30 x 40 cm - https://jam.creative-diffusion.com/

La Poule qui radote

Cot cot
Cocotte
Cot cot
Cocotte

Dans la basse-cour,
La poule caquette
Les mêmes sornettes
Encore et toujours.

Les animaux excédés
Lui ont pourtant demandé
De changer enfin, un jour,
Le sujet de son discours.

Pourtant la poule, un peu obtuse,
Sait bien pourquoi elle refuse
De changer l’objet de ses gloses
Et de discourir d’autre chose.

Par crainte pour ses organes,
Elle est, vous le comprenez,
Épouvantée à l’idée
De passer du coq à l’âne.

C’est pourquoi toujours
La poule caquette
Les mêmes sornettes
Dans la basse-cour

Cocotte
Radote
Cot cot
Cocotte

Mis en scène dans Galerie Amavero
Texte: Bernard Denis-Laroque
illustré par: Pascale Bordet

Ballade pour Geneviève Guevara

Dans ce ventricule, je me recentre dans toutes mes énergies positives,
Je regarde mon intérieur pour illuminer mon extérieur,
Je pullule de fluides qui veulent peindre l’amour fœtal,
J’unis mes vers pour être sur la même longueur d’onde,
Nous sommes en haute fréquence, nous nous rejoignons dans cette vie,
Cher Ange terrestre, un nouveau cycle recommence,
Tu représentes des “ba” ventres, des “ta” de centre d’intérêts, des “tha” de moi (*),
Je vois cette échappée belle dans le bleu cyanotype éclairé de lumière,
Le chiffre 5, mon nombre numérologique, est une synchronicité dans ce médusarium,
Ces flagelles en cytoplasme sont des vers luisants photoplaton (**),
Il nait des néologismes de références, de sciences humaines,
En abondance, du surréalisme, du prisme multivers,
Une philosophie de vie autodidacte dont les tableaux sont des mantras,
La voie philharmonique à suivre, une balade avec Geneviève Guevara.

(*) ba, ta, tha : lettres de l’alphabet arabe (b, t, th)
(**) photoplaton : néologisme en référence à la faculté visionnaire de Platon de voir loin, dans son instant présent qui est au passé pour nous.

Mis en scène dans Galerie Amavero
Texte : Angélique Leroy
Inspiré de : Ascension, de Geneviève Guevara - 2023 - acrylique sur toile - 80 x 60 cm 

Souffle de vie

Si tu pouvais arrêter le temps,
Que retiendrais-tu de nos moments ?
Si l’air se figeait, rien qu’un instant,
Que garderais-tu absolument ?

Le frisson de nos premiers baisers ?
Nos étreintes un peu trop exaltées ?
Ou mon dernier souffle à tes côtés
Aussi léger qu’une brise d’été ?

Fixerais-tu nos mots insufflés
Aux quatre vents de l’éternité ?
Et nos envies toujours conjuguées
Au temps qu’il faisait, hiver comme été ?

Quand le monde cessera de tourner,
Je prendrai une grande bouffée d’air
Et la scellerai à tout jamais
Dans tous les contenants de la terre.

mis en scène dans Galerie Amavero
Texte : Élise - Les petits mots - son site et son instagram
Inspiré de : Petit Souffle, de Léa Dumayet - aluminium, 30 x 30 x 1cm - 2023 – son instagram

Femmes qui dansent

dans la ferveur de leur corps – elles dansent et dansant sont
comme une extension de la chair augmentée par la lumière
elles appellent l’été la chaleur et la couleur et leurs joues – leurs joues prêtes au baiser à l’amour au plaisir
leurs joues soudain rosies par la moiteur et séchées dans l’air doux qui frémit dans leur cœur
ainsi elles toutes – toutes nues – toutes offertes
à nul autre qu’à elles et
elles dansent
comme dansent les nymphes et les muses elles – elles qui dansent et qui dansent au-dedans de leur corps –
elles toutes qui s’agenouillent
là – devant leur dieu – un seul – l’orgueil
à l’autel sont pareilles à l’appel de la sève
tout en elles s’éternise et s’impatiente
comme on double d’un autre ce qu’on est en-dessous dessous la peau dessous l’os et encore en-dessous
elles – miroir éclaté qui se réfracte dans les rayons du soleil


mis en scène dans Galerie Amavero art et poésie
Texte : Chloé Charpentier 
Inspiré de : La Joie de vivre, de Clémence Pierrat

credo non credo

je ne crois pas aux rimes éternelles
à la vérité blanchie par les ans
aux serments ritournelles
aux adorateurs tremblants

je crois à la douce larme
à la beauté de l’instant
au rêve révélateur d’âme
malgré toi

je ne crois pas au vacarme du passé
simple voie du hasard
et de préjugés
repeuplant le présent

je crois que rien n’est infini
rien n’est certain
tout en devenir
même l’amour

je ne crois pas à l’histoire
usine à mensonges
toujours en retard
sur la vie qu’elle écrit

je crois à la divine fragilité des mots
à la chaleur persistante du corps
à la jeunesse ardente
aux heures indécises
quand le jour assombri
ne sait pas encore
qu’il est devenu nuit

je ne crois pas aux danses infidèles
à la sagesse miracle
paravent de lâcheté
aux souvenirs sepia
des émotions volées

je crois à l’intégrité de l’âme
reçue comme un don
mûrie par l’effort
peuplée d’instincts
et de sensations

je ne crois pas au destin imposé
par la volonté imparable
d’une raison impératrice
tout est construction
par l’imagination

je crois à la force invincible
du cœur meurtri
à la parole de l’ami
perfusion de vie
au soutien des vents invisibles
qui te maintiennent debout

je crois à un avenir
construit sans promesses
je crois en toi
malgré mes faiblesses

Texte: Luc Fayard
voir une mise en scène dans Poésie de l'art
et une autre dans @lucfayard.poete

pays rêvé

je voudrais
un ciel en labyrinthe
de petits boudins bleus
une rivière en ruban
d’un bleu presque vert
un pommier malingre
en pieuvre aux longs bras
une pomme parfaite
en disque auréolé
une ombre liquide
en trace d’encre
une herbe de poils jaunes
en tapis de mousse dense
une haie de plantes serrées
en long muret tenace
et le tout serait
mon pays idéal
rempli de traits
verts jaunes et bleus

Finaliste du Diplôme d'Honneur - Prix Europoésie-Unicef 2023

Texte : Luc Fayard
inspiré de
Apple Tree, de David Hockney
mis en scène dans Galerie Amavero

ombres de plage

large bande de frontière
entre terre et eau
matière changeante
élastique et malléable
territoire des errances
agité par le vent
troublé par la brume
filtrant les silhouettes
lieu d'existence plurielles
à l’écume frisée
et de soubresauts
du sable créateur
qu’importe le temps
il y a toujours une épuisette
et des corps occupés
dès le petit matin
infatigable plage
comme la vie

Finaliste du Diplôme d'Honneur - Prix Europoésie-Unicef 2023

Texte : Luc Fayard
inspiré par
Scène de plage, de Marie Deloume

différence

mi pingouin mi allien
bébé joufflu venu d’ailleurs
émouvant attachant
rondouillard
on voudrait le câliner
lui dire en le berçant
n’aie pas peur
le monde se méfie
des autres différents
apporte lui
ce que tu es
formidablement vivant
chaque regard nouveau
devient un grain de plus
dans la mer de sable
une teinte ajoutée
à l’infinie palette
étonne nous
chante ta chanson
crée ton chemin
ils viendront avec toi

Finaliste du Diplôme d'honneur - Prix Europoésie-Unicef 2023

inspiré de
Personnage, 1970, de Joan Miró
voir une mise en scène dans la Galerie Amavero

origine des mots

rien ne peut troubler 
l’origine de mes mots
ni le tam-tam des hommes
ni le fracas des vagues

ils viennent d’un lieu
protégé de la furie
indifférent à l’heure
insensible à la pluie

ce lieu mon âme 
secrète et orgueilleuse
chercheuse de beauté
dans l’existence

mes mots éclosent seuls
exfiltrés de la folie
avançant chaotiques
vers la ligne d’horizon

rien ne peut égaler
leur vérité ciselée
ni le chœur des sanglots
ni les tollés de joie

venus d’ailleurs
d’un autre temps
mes mots flânent
libres et fiers

sans suivre de chemin
créés par évidence
ils sont délivrance
ils sont le chemin

traceur de cercles
dans la ronde infinie
le porteur de mots
n’est pas un prophète

juste une graine de plus
dans la semence du monde
quelques gouttes pures
pour étancher sa soif

à l'instant de les recueillir
celui qui les boira
découvrira désaltéré
que sa nuit s’est embellie

le jour n’aura plus
la même lumière
et la vie sera légère
dans son cœur vibrant

Finaliste du Diplôme d'Honneur - Concours Europoésie-Unicef 2023

Texte : Luc Fayard
voir la version illustrée par
Un monde imaginaire, de Isaac Grünewald

rester debout

un beau jour 
vous trouvez une ruche de chaises
ce n’est pas comme les abeilles
vous ne pouvez rien en faire
pas de jus pas de substance
pas de pollen sur le bois
juste un vieux goût de cire
rien que le craquement du vent 
dans les barreaux branlants
elles sont là inertes
brinquebalantes
et vous vous dites
c’est çà la vie

un beau jour 
il en eut assez
trop de chaises chez lui
il commença à les jeter 
sans regarder par la fenêtre
mais elles refusèrent de mourir
et s’accrochèrent les unes aux autres
jusqu’à former un gros nid de chaises
les pompiers essayèrent 
tous les produits toxiques
mais ils n’avaient pas
d’extincteur de chaises

un beau jour 
la chaise reine
chauffée par le soleil de la terrasse
pondit quelques œufs de chaise
qui finirent par éclore
dans la lumière du printemps
mais une chaise grandit très vite
en quelques mois ce fut une colonie
qui déborda sur la façade
et descendit sur le mur
bientôt elle gagnera la rue
et se répandra dans la ville

un beau jour 
il se dit penaud
ne restons pas assis
s’asseoir est une perte de temps
le corps se tasse
l’esprit aussi
il enleva tous les meubles
les tableaux les réveils
et même les lits
il passa le reste de sa vie
debout dans l’espace nu
mais heureux

inspiré de Photo AFP. Une création de l’artiste Tadashi Kawamata sur la façade de l’immeuble de la Galerie Liaigre.

sans frontière

nulle ligne assurée 
entre terre et eau
entre bas et haut
pourtant
à chacun sa substance
sa texture sa couleur 
qui se relaient 
dans le passage invisible 
du fluide au solide
dans la prégnance humide 
d’un paysage à part
ici vibrent les sens 
en large palette
du musqué au salé
du sec au mouillé
le nez devant le pied 
l’odeur nous guide
on la hume 
perdu dans la nasse
seule la pluie pourrait
réunir les matières
dans la même brume
soyeuse et mystérieuse
ainsi va la vie 
brouillard tenace
sans frontière 
entre jour et nuit

Finaliste du Diplôme d'Honneur - Concours Europoésie-Unicef 2023

Texte : Luc Fayard
inspiré de
Palude, de Marie Deloume

éloge de l'ombre

bien sûr il a fallu 
que naisse la lumière
mais ensuite l’oublier 
définitivement
ne garder que les demi-teintes
et surtout les jeux les renvois
les non-dits les bégaiements 
avancer sur le côté 
balbutiant

laisser l’âme s’émouvoir de l’obscur
le cœur du soupçon d’un remous

quand ils fanfaronnent
les mots eux-mêmes sont vides
les yeux ne parlent que dans le vague
le sourire s’embellit de l’énigmatique

contempler les aspérités 
pour ne pas s’en blesser
lancer les perspectives en flèches
vers les frondaisons dansantes
ne rien croire d’abord
tout imaginer
écouter le vent 
quand il trouble la pluie
profiter de la fraîcheur 
entre jour et nuit
quand la vie prend le goût 
d’un grain de sel glissant
sur la peau  lentement

de l’amour 
ne retenir que ses frôlements
les débuts les bruissements
les senteurs de jeunesse
les longs silences rapprochés
l’attente poignante de la rencontre
l’éternité de l’instant

dans la nature 
et dans l’homme
étudier sans cesse 
le meilleur contraste
la ligne de fuite 
évasive et décidée
qui dessine l’arrière-plan

dans les mystères brumeux
déformer la silhouette du temps 
celle des passants
et de l’espace
suivre les traces 
des fantômes blancs

et sentir la liberté t’envahir
à pas de géant

Hommage à Junichiro Tanizaki

Finaliste du Diplôme d'Honneur - Concours Europoésie-Unicef 2023

illustré par 
Nocturne in Black and Gold - the Falling Rocket, de James Abbott McNeill Whistler ou bien par Mystère et mélancolie d'une rue, de Giorgio di Chirico

ronde des si

si le cercle est brisé
vais-je retourner sur mes pas
ou bien bâtir une passerelle

si les bouts scindés se relient
atteindrai-je mon départ
ou bien les traces d’un nouvel envol

si je franchis les traits de couleurs
verrai-je le ciel s'éclaircir
ou bien la terre sombrer

si la foule se presse en chemin
se tiendra-t-on vraiment la main
ou bien marcherai-je isolé

si trois notes franchissent la mer
entendrai-je une symphonie
ou bien le solo du désespoir

si je respire longtemps
sentirai-je une forme d’énergie
ou bien l’impermanence

dans l’infini du vide
le cercle ne dit rien me dit tout
je ne suis rien je suis tout

Finaliste du Diplôme d'Honneur - Concours Europoésie-Unicef 2023

Texte : Luc Fayard
inspiré par Cercle - Ascèse VIII, 2007 - Série: "Silencieuse Coïncidence, de Fabienne Verdier, à qui j'ai demandé une autorisation de reproduction; alors en attendant, je l'illustre avec "Disques de Newton", de Frantisek Kupka (que j'aime beaucoup aussi !)

anniversaire

il souffla si fort ses bougies
que le temps s’accéléra
l’espace se déforma
les couleurs se séparèrent
en demi-cercle
dans un crépitement joyeux
de rires et d’exclamations
on pouffa de tant de flou
il se dit serein
que c’était bon signe
pour vivre le reste de sa vie
moins normée

inspirée par une photo ratée de ALBS

cocon

grelottant dans le dortoir
elles s’étaient endormies
après frôlements
et cachotteries
serrées sous les couvertures
emmitouflées
elles s’étaient raconté
pouffant et frissonnant
des histoires gaies
de vampires et d’ogres
puis s’étaient tues
rêvant à leur maman
c’est dans ce cocon
recroquevillées
que le manteau du sommeil
les avait recouvertes
jusqu’à l’aube et sa lumière
s’il avait gelé dans la nuit nue
elles seraient statues

inspiré par Sculpture n°545, de Georges Saulterre (avec son aimable autorisation)

la raison du poète

je crée mes souvenirs
comme un artiste
repeint sa toile
l’avenir est un élixir
mêlant présent et passé

je ne suis que chimie
de pensées programmées
les mots mentent
ils existaient avant moi

mon cœur s’emballe sans raison
vers tous les cardinaux
j’ai perdu le goût de tout
je souris sans passion
ne contemplant rien d’autre
que l’intérieur de moi

et pourtant je respire j’existe
mais pour quoi
quel peut être le destin
d’un grain de sable volant
au moindre frisson
du large marin
les poussières ne peuvent
se donner la main

croyant vivre la même aventure
les hommes s'agglutinent flottants
dans les mêmes courants tièdes

la réalité n’a pas de géométrie universelle
la vérité est un leurre de l’histoire
l’amour un rêve fatal à l’indépendance
aveugle j’avance en automate
monté sur quel ressort

ni justice ni compassion
ni revanche ni haine
peut-être simplement
le désir de beauté
drapeau blanc surnageant du naufrage
pic vert coiffant la soucoupe des nuages
seul chemin vers une transcendance
qui se passerait de l’histoire et des signes
sans nul besoin de raison folle
un chemin sans étoiles
qui est tout
sauf une ligne droite

Diplôme d'Honneur - Concours Europoésie-Unicef 2023

Texte : Luc Fayard
voir la version illustrée par
Le Voyageur contemplant une mer de nuages, de Caspar David Friedrich

il faudrait

il faudrait que le vent
poussant les montagnes
et les grands icebergs
bâtisse le couloir
d'un passage abrité

il faudrait que la main
saluant comme une feuille
emporte avec elle
la pensée vers le ciel
dans un infini tournoiement

il faudrait qu’un sourire
pose du bleu sur le gris
venant calmer à point
les ardeurs opiniâtres
des accents aigus

il faudrait étreindre les arbres
pour que leur frémissement
nous parcourant le corps
nos pieds prennent racine
dans l’histoire du monde

il faudrait brûler les regrets
dans un grand feu de joie
pour que chaque crépitement
signe une victoire nouvelle
sur la fatalité

il faudrait que nos doigts
enfin rejoints créent
l'invincible lumière
empêchant la nuit
d'étendre son manteau

Finaliste du Diplôme d'Honneur - Concours Europoésie-Unicef 2023

Texte: Luc Fayard

brume

l’œil handicapé
l’oreille prend le relais
la brume en mer
c’est d’abord des sons
la corne pour dire attention
la cloche sur la bouée
ou à l’entrée du port
quand il ne voit rien
le marin craint les sirènes
ensorcelantes d’Ulysse
ou les monstres marins
Charybde et Scylla
alors il chante
pour dire à la mer
qu’il n’est pas encore mort

inspiré de : Le chalut dans la brume, d'Hélène Benayoun


être et matière

l’être et la matière
se ressemblent
tellement
qui est vivant
qui bouge vraiment
où est la réalité
peut-être la trouvera-t-on
d’abord et surtout
dans notre esprit
sensible à la création
dans notre vision
d’un monde capable
d’accueillir en son sein
une éternité statufiée
plus vraie que la vie
inspiré de : Manechs, de Pascale Catoire

quatre actes

la branche et l’algue
le ciel et la mer
l’herbe et la mousse
le ruisseau et la montagne
on entend tous les chants
le cri étonné des oiseaux
le ruissellement soyeux de l’eau
le frottement tiède du vent
tous les actes de la vie
joie ou tristesse
espoir ou peine
se jouent en quatre actes
inspiré de quatre acyliques, de Martine Durou

trois arts

dans un jardin de splendeur
la musique chanta
les pinceaux frémirent
les âmes s’envolèrent
sur une eau lisse
trois fois ravies
par trois arts en partage
célébrant la naissance
d'un moment unique
où savourer le plaisir
des sens en fusion
crée une émotion vierge
inspiré de : Au fil de l'eau, de Martine Durou
et d'une belle journée où ce miracle eut lieu, frâce à l'association de Chaville, L'Art en partage

petit avion

j’aimerais tant
être un petit avion
souple et vif
capable de pirouettes
et de farandoles
planant éternellement
sur les champs de lavande
les lacs les montagnes
égal du ciel
et des oiseaux migrateurs
les nuages me salueraient
avec respect
à la fin du voyage
je me poserais sur terre
dans la poussière
avec lenteur
dans un dernier regret
de la vie en hauteur
inspiré par : Mary, de Céline Verdière

bécasse

coiffé de son vieux chapeau
le chasseur est parti tôt
avec chien fusil besace
à l’heure qu’il aime
dans la brume et la rosée
l’herbe haute cachait ses secrets
sauf au chien qui s’est arrêté
l’homme était prêt
l’attente a duré longtemps
et quand la bécasse au long bec
a démarré son vol un peu lourd
un seul coup de fusil a suffi
voir l'œuvre et l'artiste qui m'ont inspiré ce poème : Nature morte à la bécasse, de Christine Bataille

elle joue la nuit

elle joue
et par la porte ouverte
les notes du piano fuient
je les regarde
s’envoler dans la nuit
sur un tempo lent
caresser les nuages blancs

elle joue
et le temps s’arrête
de respirer
moi aussi
partagé
entre nuit grave
et musique aigüe

elle joue
et ne sait
sa grâce à elle
pour moi
tout ce qu’elle touche luit
ses mains créent la lumière
de mon chemin d’élu
balisé dans la nuit

elle joue
et le vent profite d’un soupir
pour pousser le sien
moi aussi
musique et nuit
sœurs jumelles
de l’attente

elle joue
et dépêche en l’air
ses notes messagères
points d’interrogations
titubant sans fin
dans la nuit claire
de ma tête étoilée

elle joue
et les étoiles alanguies
clignent des rayons une à une
complice le ciel me sourit
dans son halo bleu de lune

elle joue
et sans elle au piano
la nuit ne serait
plus jamais la même
moi non plus
ou je serais la nuit
voir une version un peu différente, en musique, sur instagram

toucher le bout de l'arc-en-ciel

je veux toucher le bout de l’arc en ciel
s’il le faut je prendrais un bateau
mais j’ai peur de me perdre en mer
et d’errer comme un vaisseau fantôme

contemple d’abord ses couleurs
fais les chauffer dans ton cœur
imagine les pays survolés

les gens éblouis la tête en haut

je veux partir je ne peux rester la
l’arc a tracé mon chemin
il me dit viens envole toi
emporte tes rêves qui vont surgir

l’arc lui-même est un rêve
visible de partout dominant tout
mais il n’est qu’un piège de lumière
tu pourrais le traverser sans le voir


je veux danser sur les étoiles
rire avec le vent du chemin
gonfler mes poumons de l’air marin
sentir mon cœur au rythme de mes pas

et l’enfant monta sur l’arc en ciel
et disparut avec lui

Finaliste du Diplôme d'honneur - Prix Europoésie-Unicef 2023

je veux tout oublier

je veux tout oublier
le céleste imparfait
des anciens jours jaunis
d’où rien ne reviendra

ni les pleurs ni les chants
ni la lumière bleue
des matins assourdis
aux accords dissonants

je veux tout oublier
la magie floue du monde
nappant la vie de brume
et de tournis

ma tête en tourbillon
dans un concert sans fin
où je pensais jouer
le naïf éternel

je veux tout oublier
les routes impossibles
et les déchirements
immortels

vite abandonnés
au détour du chemin
pour un nouveau visage
au sourire futur

je veux tout oublier
pour que tout recommence
l’émotion sans souffrance
et le spleen virginal

le souffle d’infini
sous les cieux inconnus
où se cachent les plis
de l’âme mise à nu

Finaliste du Diplôme d'Honneur - Concours Europoésie-Unicef 2023

voir la version mise en musique sur instagram

le poète est un rat

le poète est un rat
terré dans ses mots
obsédé de visions
rongeur de sens troué

son âme torturée
s’effraie du moindre bruit
que ferait une musique
plus belle que la sienne

dans son terrier
sale et sombre
il pond jaloux
ses mots fantômes

mots égarés
poule devenue folle
couvant toute la nuit
des œufs de serpent

il n’écoute que le bruit
de son cœur excité
qui lui dresse un rempart
fatal à la réalité

la vie s’écoule
en-dehors de lui
jamais ses mots
ne la rattraperont

toujours grognant
il racle le papier
comme un chien
renifle la bouse

jamais la rose
n’y fleurira
juste des ronces
et des orties

il aura beau
les sculpter jour et nuit
elles le gratteront
toute sa vie

Finaliste du Diplôme d'Honneur - Concours Europoésie-Unicef 2023

Texte : Luc Fayard
voir une version illustrée par IA

terminus

étrange destin
pour l’homme
approcher de la fin
sans le vouloir
pas après pas
marche inéluctable
au rythme du cœur
horloge atomique
au décompte inlassable
où chaque pulsation
est un trait de plus gravé
sur l’arbre de la vie
par l’assassin comptable
des jours achevés
un train direct sans arrêt
objectif étonnant
chacun son terminus
a durée du trajet
indéterminée
règle valable pour tous
les grands les minus
les sereins les atrophiés
galériens enchaînés
à la même certitude
ramer vers l’inconnu
et le jour de l’arrêt final
à la station néant
où seul tu descendras
il fera noir
pour toujours

Finaliste du Diplôme d'Honneur - Concours Europoésie-Unicef 2023

Texte: Luc Fayard
voir une version illustrée par l'IA ici ou

petits riens de bonheur

apparition
cœur en électrolyse
soudain la voici
peau de louve
yeux de brume
long nez fier
vagues de chevelure
à lisser
oracle
tête inclinée
elle écoute
réfléchit
quand elle marche
fragile
corps agile
dans sa bulle
le vent s’écarte
sur la silhouette
dansante
statue vivante
art en mouvement
le temps s’arrête
un instant
à peindre
tout se fige
les lignes fuient
l’ombre s’agrandit
et puis voila
elle est partie
sur un soupir

dans la brèche du monde
créée par elle
ne reste d’elle
dans l'éternelle ronde
que le parfum l'odeur
le tremblements des mains
des petits riens
de bonheur

Finaliste du Diplôme d'Honneur - Concours Europoésie-Unicef 2023

Texte : Luc Fayard
voir l'oeuvre créée par l'IA en lisant ce texte

barbe bleue

c’est un conte
de l’amour
de la peur
du secret
et de l’interdit
il était amoureux
elle curieuse
il l’emmena
dans son château
dont elle fit ouvrir
les sept portes
la septième
lui fut fatale
voir l'oeuvre et l'artiste qui m'ont inspiré ce poème : Re-création et Jubilation, par CYB

toujours bleu

nous ferons des pirouettes
sur un fond de grand bleu
nos graciles silhouettes
se prendront par la main
pour marcher dans la rue
et courir dans la jungle
les enfants souriront
de tous ces jeux espiègles
et quand la nuit viendra
le bleu sera bien là

oiseau libre

autour de toi
les champs se déhanchent
les nuages frémissent
les bancs d’oiseaux filent
puis au-delà du paysage
tout devient flou
tu vois ton cœur agité
de tant de désirs
les souvenirs tristes
ranimés à la surface
mais au-delà de tout
l’envie de partir
comme un oiseau libre

ruche

prenez un tableau abimé
scrutez-le à la loupe
respirez le travail de l’artiste
qu’il imprègne vos mains
votre cerveau
puis réglez la lumière
la température
le taux d’humidité
et ensuite patience
et minutie
un travail de ruche
pour que l’œuvre renaisse
d’une nouvelle jeunesse

galop

les gens me croient à l’aise
sur mon coursier à mille volts
ils croient que c’est facile
de garder la fesse en l’air au galop
s’ils savaient
je suis en équilibre permanent
sur le point de tomber
à tout moment
pour me casser
en mille morceaux
je ne dirige mon cheval
que d’un bout de mollet
et de quelques doigts
un métier de fou
mais quand on gagne

hellébores

violet et or
ils se dressent en l’air
les hellébores
mystérieux et fiers
roses de Noël
pourprées
sentant le soufre
et le noir destin
il faudra les cueillir
et beaucoup les aimer
pour que l’horizon
s’éclaircisse
et rosisse

rhinocéros

rencontrer un rhinocéros
en dehors d’un zoo
ça n’arrive pas tous les jours
alors profitons-en
mais la discussion n’est pas simple
regard biaisé
front doublement cornu baissé
les grognements font peur
l’animal pense à sa survie
et se moque des mondanités

disco

en ce temps-là
on s’habillait en couleur
la musique était folle
tout était possible
le sexe le bruit la nuit
les gens dansaient
des heures en transe
dans les discothèques
au petit matin
on riait encore
de ses accoutrements
pattes d’eph et coiffure afro
c'était le temps du disco

contes

dans un pays
de montagne et d’eau
vivaient des animaux étranges
à moitié transparents
doués de langage
et d’émotion
ils savaient dessiner
sur les rochers de grès
et racontaient des contes
doux et colorés
aux enfants curieux
qui venaient près d’eux

entrer dans l'eau

l’entrée dans l’eau de mer
surtout quand elle est fraîche
est un rituel très personnel
on y va franchement
ou bien en sautillant
ici on plonge d’emblée
là on s’accroupit
c’est un défilé de gestes
mimiques postures
pour que s’accordent les fluides
il y a tous les cris
toutes les nages
tous les âges
le bain c’est la vie

envol

le souffle du vent
secouant fleurs et plantes
le ruissellement de l’eau
sur la mousse des pierres
un mini-cyclone
sur un jardin secret
des fils qui s’emmêlent
en se tortillant
et la lumière blanche
qui sert de support
à l’envoûtement
de ce fin tourbillon

ovale

galets huîtres glands
formes ovales
couleurs joyeuses
tout est pêlemêle
dehors dedans
comme l’esprit à la fête
les hypothèses de vie
les promesses à tenir
les chemins à choisir
pour assembler au mieux
les éclats du bonheur

quelque part

sur la terre
sur une autre planète
quelque part
dans l’univers
existe un pays
troué de lumière bleue
où les rêves surnagent
comme des échappées
où les herbes se troublent
par les pensées
où le sol se vallonne
de recoins secrets
un pays qui m’appelle
et que je ne puis rejoindre

sous les ponts

sous les ponts
coule toujours la Seine
et les amours racontent
les mêmes histoires
les quais symbolisent
les soupirs des rencontres
l’éternité de l’âme
et les émotions du poète
devant l’eau qui court
emblème oxymore
de la présence éphémère

madeleines

la maison fait penser
aux madeleines de Proust
exhalant un passé
teinté de mystère
et de failles de scénario
ici et là dans l’histoire
le feu des souvenirs
se mélange au miroir
du présent recomposé
qui sommes-nous
dans l’aller-retour constant
de la mémoire trouée

rouleaux

les rouleaux se déroulent
l’écume fume
les vagues divaguent
les bleus marins
embrassent le ciel
accueillent le vent
la côte regarde étonnée
ce spectacle quotidien
de force et de bruit
la mer sauvage et fière
que l’homme toujours
voudra dompter

pommiers

ici l’herbe est grasse
et le vert plus vert
qu’ailleurs
dans l’air se répand
l’odeur sucrée
de pommiers en fleurs
le ciel se décline
en nuances spéciales
penchées vers la terre
au bout de la plaine 
il y a toujours une haie
qui t’invite à rêver
et oublier ta peine

sans artifice

parfois les couleurs
parlent au cœur
sans artifice
sans détour
porteuses de joie
de renaissance
elles exhalent
des vibrations
en ligne droite
dans un désordre gai
mais constructeur
où l’on se tient la main
face à son destin
la vie nous appartient

régate

l’eau clapote
sous les coques
le vent gémit
dans les voiles
les poulies grincent
sous l’effort
il faudra virer
la bouée là-bas
changer d’amure
partir au près serré
qu’importe la victoire
quand les chants de la mer
de la lumière du ciel

camaïeu

camaïeu de couleurs
qui se répondent
sur la table les murs
dans le vase
dans le jeu d’ombres
et de lumière
un dialogue se crée
tout est vivant
la nature
n’est pas morte

lectrice

absorbée par sa lecture
yeux baissés teint frais
chignon rapidement fait
joues rougies par l'émotion
la lectrice est pressée
d’empoigner son livre
on aimerait savoir
ce qu’il raconte
histoire d’amour
ou poésie
Romances sans paroles
vient de paraître
peut-être lit-elle Verlaine
poète impressionniste
de l’extase langoureuse

voilette

chapeau voilette et plaid
la jeune femme s’abrite
et se cache peut-être
on lui prêterait volontiers
une bouille ronde
elle s’insère en douceur
dans le décor
aux mêmes teintes
elle vient de quitter son amant
et s’en va discrètement
sans se retourner
ou bien peut-être
sort-elle de l’église

signes éparpillés

de petits signes
éparpillés
bourgeons prégnants
lumière insistante
infimes frémissements
des frondaisons
le chant des oiseaux
qui devient plus aigu
même le tronc des arbres
change de couleur
de texture de chaleur
partout la pousse pimpante
le printemps est là

siffler

bien choisir le brin
une herbe forte longue
pas trop large
la tendre haut et bas
entre les deux pouces serrés
et souffler les lèvres pincées
pour produire
ce sifflement tant attendu
qui emplit le cœur de joie
alors on est un oiseau
qui vole sur les collines
et domine le pays
la nature est à nous

équilibre

en équilibre
vie suspendue
à un fil une planche
ombres en filigrane
accolées à un mur
tellement haut
qu’il pourrait
gagner le ciel
les grandes œuvres
reposent toujours
sur d’infimes détails

enfant bleu marine

rouge et bleu forts
teintes veloutées
des yeux perçants
comme des phares
l’enfant possède la beauté
d’un caractère trempé
la bouche bien dessinée
il pose pour nous
ferme et tranquille
il sait déjà
qu’il fera parler de lui

meringue

tout est indice ici
on imagine l’activité de pêche
sans bien la voir
les nuages sont posés
dans le ciel
comme des meringues
à l'envers
on suppose que les bateaux
ne sont pas encore rentrés
c’est le calme
avant la tempête
de la criée et de la foule
au loin les cheminées fument
symboles d’une ville industrieuse

fière

la maison trône fière
sur la colline
l’avant-garde solide
de ses balcons de bois
protège ses secrets
elle nous dit c’est moi
qui ait tout vu tout connu
je suis imprégnée d’histoire
de cris et de chuchotements
je sais tout et ne dirai rien
puis elle se tait

cascade

chute d’eau sauvage
émanation mythique
primale
de la jungle
de l’origine du monde
les sens à vif
le cœur ouvert
ici peut-être l’humanité
fut libre et heureuse
dans un pays vierge
habillé de pureté

barques sur la grève

étonnantes disproportions
entre humains et barques
bateaux sur la plage
et ceux sur la mer
homme chétif
tu es grain de sable
poussière de vent
jouet dans les bras
des puissances marines
tu peux t’agiter
elles gagneront toujours
range tes barques
tes filets
va prier les saints
que la mer t’épargne

tout est dit

rien que du simple
au premier plan
une fermière et sa vache
un arbuste un pré
au second plan
un village
aux toits bleus et rouges
au dernier plan
une colline au sommet arrondi
aux champs bien délimités
et l’on comprend
que tout est dit

éloge de la lenteur

ce serait un pays où l’on vivrait
comme dans un film au ralenti
après des heures à se dessiner
jamais plus le sourire 
ne se fermerait sur le visage
dans l’air du matin 
les mains s’écarteraient
sur des cercles imaginaires
chassant les vents contraires
volutes longtemps évoqués
construisant le vide devenu le tout

la marche sans but prendrait la forme
d’un rituel initiatique de respiration
l’esprit ne serait qu’un calme absolu
répandant son énergie dans l'être
peut-être n’aurait-on plus besoin de parler
les rencontres préparées par la pensée
s’étant irriguées de cette chaleur diffuse

la mère caresserait son fils
d’un geste si langoureux
qu’il fermerait les yeux
rêvant au paradis de coton bleu
où les enfants rois décident de tout

les chats toujours plus paresseux
n’en finiraient plus de s’étirer
sur les couettes laineuses
même l’araignée au diapason
tisserait sa toile en un siècle
le long des murs de maisons

dans les jardins multicolores
les fleurs effarouchées
s’ouvriraient mollement
refusant de se dévoiler trop tôt

parfois il tomberait une faible pluie
si douce et venant de si haut
qu’elle parfumerait la peau
des senteurs colorées du ciel

sur la grève peuplée de souvenirs
la marée au rythme lunaire
laisserait aux amoureux
le temps de priser son spectacle

et le vent qui chasse tout en riant
clamerait dans les plaines du pays
sa fierté d'être tiède frissonnant
seul messager du bonheur infini

hommage à Milan Kundera et Carl Honoré
adapté à Femme Nue sur Tortue - La Paresse, de Florence Jacquesson (avec son aimable autorisation)

neige sur les toits

la neige est sur les toits
dans l’air aussi
léger filtre marbré
posé sur le tableau
les persiennes sont fermées
les gens calfeutrés
c’est bizarre
il manque les volutes de fumée
s’échappant en spirale
des cheminées

jaune

pays jaune
cela n’existe pas
un paysage jauni
comme celui-ci
et pourtant
quelle force quelle vie
dans les lignes
dans les formes
et l’eau si présente
qu’on la voit frémir
qu’on l’entend gémir
il fait chaud ce jour-là

architecte

il est sorti
fumer une cigarette
trop de bruit là-dedans
ah ces artistes
en discussion
il goûte un moment
le calme serein
de son jardin
le temps de s'imaginer
un avenir glorieux
d’architecte ami des arts
puis il rentrera
dans le brouhaha
qu’il aime bien
finalement
il en fait partie

inspiré par : Charles Le Cœur (Auguste Renoir)

miroir

l’eau sombre et claire
le reflet de la barque
et des femmes en chapeau
symbole pur
du monde à l’envers
miroir presque parfait
d’un idéal atteint
les poses entre attente
lassitude et concentration
arrêtent le temps
peu importe
ce qu’il va se passer
c’est ce moment parfait
qui compte

sur un banc

jeunes filles rangées
sur un banc de parc
trop sages
lisant ou rêvant
la tête baissée
dur d’être 
le centre du monde
autour d’elles 
tout est vivant
mais flou
sans importance
leur coeur bat fort
et les entraîne loin
celui se souvient
de ses rêves d’enfant
sur un banc de parc
n’est pas tout à fait mort

inspiré par : Sur un banc du Bois de Boulogne (Berthe Morisot)

fruit

fille des îles
douce et pensive
dans ton mouvement
de la rose à l’oreille
fruit mur à croquer
tu penches la tête
pour rêver paresseuse
à ta plage à mangrove
la-bas si loin
où le sable dru
borde la mer houleuse
tu garderas
tes secrets
quand la rose
sera fanée

œil de tigre

un œil de tigre
au grand jamais
vous ne le verrez
d’aussi près
tant mieux pour vous
d’ailleurs le tigre
est difficile à voir
il est tapi
lui il vous voit
depuis longtemps
et il attend

arbre et mer

l’arbre aime la mer
son odeur salée
le sable granulé
qui lui mord les pieds
il se nourrit
du bruit des vagues
du cri des mouettes
il pousse ses branches
le plus loin possible
pour attirer les visiteurs
dans son ombre tiède
nourrie d’histoires tendres
et de passions secrètes

passage

passage entre deux mondes
vers la lumière et l’inconnu
loin des souvenirs lourds ou bleus
des colères et des joies
chemin à déchiffrer soi-même
sans ornières ni frontières
surtout ne pas se retourner
comme la femme de Loth
jetant un fatal regard à Sodome
et pour connaître le sens de sa vie future
il faudra avancer sans regarder
les couleurs si fortes de la vie passée

colonne

elle porte bien son nom
la plantureuse colonna
moderne décontractée
habillée de bleu
comme ses yeux
qui voient bien plus loin
qu’on imagine
qui percent toute vanité
avec elle
il faut être simple et vrai
peut-être alors
vous gratifiera-t-elle
d’un grand sourire
venu de son cœur large

destin

massif concentré silencieux
assis au fond
dans un coin
il ne voit que ses cartes
le monde disparaît pour lui
il commence même à s’effacer
son destin se joue
dans sa main
une fois de plus
il s’interroge
la vie est un pari

silence

épaules ramassées
coudes posés
peu importe le jeu
pas d’argent
sur la nappe
qu’on soit
méthodique ou intuitif
parfois la vie se résume
à des figures
sur une carte
le silence
et la confrontation

beaux yeux

ne cherchons pas à savoir
qui est Justine Dieulh
nul ne le sait
il faut l’imaginer
personne honnête
ou courtisane
t’as de beaux yeux tu sais
du mystère plein la bouche
et le menton fier
le foulard rouge te va bien
sur fond des plantes
du jardin
que seuls les spécialistes
reconnaîtront

guinguette

nervosité du trait
dans le détail qui dit tout
le serveur est roux
la dame porte un châle
son compagnon l’écoute
un oiseau passe
il y a du vent dans l’arbre
et puis le regard s’élargit
embrasse toute la scène
s’imprègne de l’ambiance
pas beaucoup de monde
à cause du froid peut-être
on a envie de chanter
ah le petit vin blanc

allusions

l’étape est franchie
de la forme ne reste que
couleurs réinventées
et allusions
chaque chose
pourtant à sa place
on devine on imagine
on se laisse emporter
par la musique des teintes accolées
on voit la maison
on voit les arbres
on voit l’eau
ensuite
on ferme les yeux
et le spectacle continue
en chacun de nous

tache de soleil

tout le monde aurait voulu peindre
des taches de soleil
comme celles-là
un vrai rouge sang
qui tache
qui fait mal
et chaud au coeur
le vert est vert
la vie est contraste
la vie explose
comme une tache
de sang

rêve d'amour

symbole total du rêve
zeste de langueur
Madeleine sanglée
dans sa robe songe
et le temps
les arbres
l’eau se figent
pour l’escorter
dans son rêve
au Bois d’Amour
si bien nommé
sera-t-il exaucé

hiératique

hiératique sévère et nue
ambiance japonisante
tête égyptienne
dessin géométrique
que fait-elle là
entre ses deux vases
à quoi pense-t-elle
dans son jardin clos
qui attends-tu jeune femme
au ventre arrondi
à la peau parfaite

oriental

intimité féminine orientale dans la touche
sur le tapis voici même des babouches
mais où sont-elles ces femmes si bien nées
par le dessin simple des courbes et des attitudes
autour d’elles tout s’imagine tout se crée
dans l’absolue perfection de l’incomplétude

fragile

courbée du dos et des épaules
elle est fragile timide apeurée
recroquevillée
on n’ose imaginer
ce qui va se passer
peut-être l’enfant est-elle
tout simplement
en train de jouer
ou de sucer son pouce
avant de se mettre au lit

contre-jour

il fallait oser user
du contre-jour
dans la peinture
pour justifier avec éclat
le coup de pinceau
à la fois précis
et suggestif
les teintes improbables
du visage
le dessin parfait du profil
et le ton rêveur
on peut alors
rêver
c’est un jeu un bonus

serre

étrange endroit
la serre transparente
où tout se crée
dans la chaleur
et l’humidité
sous la lumière
éclatante
on y apprend
le soin la patience
on y cultive
l’espoir
l’attention
et peu à peu
tout renait

sensualité

imaginaire
de la sensualité
d’emblée
sans la connaître
on est attiré par elle
la femme en noir
dans les yeux
le sourire
elle porte
sa vie cachée
et comme un regret
un fond de tristesse
ses fins doigts
de pianiste
la langueur du poignet
en disent long
sur ses désirs
peut-être a-t-elle lu
Madame Bovary

il pleure

il pleure souvent
dans mon coeur
quels yeux
quel visage
quel front
et dans les couleurs
quelle audace
la lumière
blafarde
mortuaire
et pourtant
quel attrait
quelle gueule
on aimerait bien
le rencontrer
dans un bar

corbeau

pauvre douanier
quelle peur soudaine
a du l’envahir
à l’apparition
de ce corbeau saisissant
pourtant
à bien y regarder
la figure est ronde
et bonhomme
et dans les yeux
des nuages passent
comme une interrogation
elle ne doit pas être
si méchante que cela
elle grogne c’est sûr
mais parfois
peut-être
sourit-elle

métropolitain

c’est la lumière
qui nous attend
en haut des marches
on sort de l’obscurité
de la foule pressée
et la tête levée
on monte vers la vie
le bruit joyeux
la liberté d’aller
où on veut
sortir du métro
c’est un peu
aller au paradis

éveil

on peut errer
longtemps
dans le noir
sans savoir
qu’au fond de son être
naissent déjà
les nouveaux rayons
de lumière
un jour ce sera l’éveil
les sens purifiés
s’accorderont
à la vibration
d’un monde disponible
et ce jour-là
tout sera possible

noir

mille façons
de créer du noir
la plus simple
mélanger à la demande
rouge jaune et bleu
et le noir sera
pas étonnant alors
qu’il puisse s’habiller
de multiples teintes
et décrire en gradué
toutes les humeurs
de la joie à la colère
le noir est l’échelle
météo du cœur

mésange bleue

l’oiseau n’est pas
seulement ce petit être
charmant comme
la mésange bleue
il est aussi l’animal
au langage le plus évolué
de tous les animaux
du son aigu à la trille
où l’envolée flutée
mais aussi en dansant
en gonflant les plumes
il sait dire tellement
de choses diverses
qu’on en reste coi
écoutons-le

tablettes

elles pourraient être
tant de choses
ces tablettes
quatre commandements
de la vie
que chacun définirait
carrés de l’esprit
cartes à tirer au sort
pierres à tiroir secret
points cardinaux réinventés
livres statufiés
ou plus simplement
tout cela à la fois

touareg

je marcherai longtemps
pour te rejoindre là-bas
mes pieds seront légers
sur le chemin de la rencontre
je resterai longtemps
près de toi endormie
et puis je repartirai
rempli d’une force nouvelle
je dirai au vent du désert
prends soin de mon aimée
un jour je viendrai comme un roi
auprès d’elle seul et fier
fouler une dernière fois
le sable et la pierre

baleine

mi baleine mi bateau
la forme animale
glissait dans l’eau
dans un souffle puissant
ses antennes blanches
captaient l’univers
de sa gorge jaillit
le chant de la mer
un chant d’union
que tous entendirent
hommes et poissons

peuple cheval

peuple cheval
l’infini des plaines
ne lui suffit pas
il marche en groupe
il galope il rue
secoue sa crinière
naseaux ouverts
le peuple cheval
s’enivre de l’air
soleil ou crachin
il avance fièrement
par tous les temps
quel sera son destin

boule

une boule de pétanque
c’est beau c’est lourd
vieille et cabossée
elle brille plus
car elle est
présent et passé
une dans chaque main
le plus bel équilibre
quand le joueur la lance
son corps son âme
s’envolent avec elle
en l’air tous les souffles
sont suspendus
le temps aussi
et quand elle retombe…

herbe et terre

herbe et terre
avant après
joie des jours heureux
grisaille d’autres temps
et comme une vague de fond
qui nous fait progresser
corps et âme
sans regrets
quête proche et lointaine
difficile et évidente
peu importe
c’est le chemin qui compte
bonheur bonheur
de le parcourir

rêve rouge

cette nuit-là
le rêve fut rouge
c’est rare
un rêve en couleurs
d’habitude ils sont gris
mais là il était rouge
comme le sang
il roulait à toute vitesse
avec un bonnet d’âne
ses roues de bulldozer
écrasaient tout le monde
ça criait partout
c’est là
que je me suis réveillé

nénuphars

il faut oser
étudier le nénuphar
et pourtant tout y est
l’ambiance spéciale
du glauque exotique
les couleurs en camaïeu
qui s’épaulent
on entend la grenouille
on devine la libellule
on imagine la mare
et ses environs
et cette joyeuse humidité
qui l’entoure

cycle marin

l’huître boit la mer
la mer savoure le soleil
le soleil chauffe le rocher
le rocher se pare d’écume
l’écume emporte l’algue
l’algue se couvre de sel
le sel titille le couteau
le couteau attend la marée
la marée renvoie le poisson
le poisson caresse l’huître

archange

les pics émergent
d’un brouillard gris et noir
qui répond au blanc
de la neige
la montagne vierge
est une émergence
violemment belle
les nuées se survolent
dans un rêve fier
un archange
brandira bientôt
son épée de lumière
au-dessus des hommes

chantier

pas d’obstacle
à la création
tout est chantier
mortier
cœur idée
l’âme expose
ses visions
blocs et lignes
s’épaulent
traits et couleurs
s’enrichissent
l’élan est là
tout s’élève
tout s’en va
ailleurs
et s’imprègne

uniforme

l’uniforme est rouge
comme le soleil
ou la terre
de certains pays
les bleus mer et ciel
se croisent et s’épaulent
les arbres sont rectilignes
comme des murs d’école
dehors tout est droit
dans les cœurs
tout est rond

écrin

la montagne est écrin
tremplin de mise en valeur
pour tous ses éléments
la fleur y est plus colorée
l’herbe plus grasse
la pente des toits plus abrupte
les lignes de perspectives
se chevauchent comme des croquis
l’âme humaine y est fière
le vent hurleur sait se calmer
et la fumée des cheminées
raconte des histoires d’amitié

grille

la lumière traverse
la grille de la pluie
trait d’espoir
tout se reflète
se complète
passé présent futur
le son rebondit
en goutte à goutte
sur la flaque
le cœur s’arrime
à la transparence
les portes de la vie
se sont ouvertes

la mer n'est pas calme

la mer n’est pas calme
elle vaque sans arrêt
tout bouge en elle
et mon âme avec
on ne chérit pas la mer
on la vit au fond de soi
avec les mêmes déchirements
les mêmes joies
jamais elle ne se taira
moi non plus

taille directe

prendre la matière
telle qu’elle est
suivre son idée
rêve de tout artiste
musicien ou poète
peintre ou sculpteur
parler en ligne droite
à l’âme au cœur
une pensée éphémère
façonne une vie durable
espérant au fond d’elle
que l’esprit sera visible
derrière la forme

orange

ce n’est pas la pomme
qui tenta l’homme
mais l’orange
elle a tout pour elle
la forme si douce
la couleur si vive
et cet admirable goût
amer et sucré
posez-là sur la table
tout s’éclipse
plus rien n’existe
le reste n’est que prétexte
elle est le centre du monde
on a déjà l’orange à la bouche

thé oriental

goût épicé
doucereux
geste délicat
guidant la parabole
du filet d’eau
vapeur flottant
en fines nuées
moment de chaleur
au milieu des couleurs

lumière du soir

on entend craquer
la vieille charpente
et les poutres lasses
la lumière pose
son filtre d’or tamisé
sur la pièce alanguie
le canapé attend
son visiteur du soir
venu d’un pas lent
il franchira la porte
se penchera pour saisir
le livre délaissé
et s’assiéra une fois de plus
le bras sur l’accoudoir
quelque part
une horloge fatiguée
décompte le temps

triplette

les trois fillettes jubilent
le parc est à nous
mais on ne court pas
tenons-nous la main
jusqu’à l’arrivée
c’est promis
quand on sera là-bas
personne pour nous voir
on pourra courir
comme des folles
mais là non
c’est décidé
on ne court pas

sable et mer

quand le sable et la mer
les nuages et le vent
le ciel et l’horizon
ne voudront plus former
qu’une seule trace
courant à l’infini
ton âme volera
avec les éléments
emportée par ton rêve
ta vie sera légère

promenade

je me promenais
sous les couleurs
éclatantes
des frondaisons
les arbres se voûtaient
pour abriter mes pensées
je marchais sur les tapis
teints de l'orient
doux comme le tamis
des souvenirs anciens
la journée s’étirait
en petits carrés d'infini

panthère

elle me regarda
longtemps
fixement
sans bouger  
moi non plus
je ne bougeais pas
dans ses yeux je vis
défiler ma vie
et le peu de cas
qu’elle en faisait
finalement
elle me jugea
insignifiant
et s’en alla
sans même 

même allure

l’homme et l’animal
marchent d’une même allure
plus rapide qu’on ne croit
ombres mêlées
sur la ligne de crête
le désert reconnaitra les siens
quand arrivera-t-on
un quart d’heure une heure ou deux
disent les berbères
les yeux éclairés d’un sourire
profond et bleu
venu de la nuit des temps

masques et signes

c’était un temps
de masques de signes
le monde magique
oubliait l’avant l’après
on se parlait sans mots
de pensée à pensée
la nature guidait
les gestes des êtres
qui doutaient encore
de l’union parfaite

alphabet

vingt cinq cases
l’alphabet coloré
d’un peuple joyeux
qui goûte la paix
après les souffrances
les signes dansent de joie
et se répondent
d’un coin à un autre
on a envie de jouer
avec eux pour créer
de nouveaux mots
qui diront l’allégresse
et chanteront l’avenir

lettre

le soleil couchant
lui chauffait l’épaule
visage à moitié caché
par son chapeau
elle lisait la lettre
lentement
mot à mot
pour en déchiffrer
le sens secret
longtemps
elle resta ainsi
tête penchée
puis ses mains tombèrent
lâchant la missive à terre
je crois bien
qu’elle pleurait

ligne bleue

la nature manquait encore
de formes adultes
sa peau s’étirait
transparente
en multiples couches
de limbes teintés
fallait-il suivre
la grande ligne bleue
ou chercher
à travers les vallons
moussus et touffus
son propre chemin

puzzle

la vie façon puzzle
tout s’emboîte
couleurs et formes
en harmonie
le village est un rêve
où tout irait bien
dans la rue chaude
et silencieuse
derrière les volets
et les portes fermées
on imagine des vies
secrètes et poétiques

lavande

l’odeur bien sûr
prégnante et camphrée
jusqu’au fond des narines
la couleur changeante au soleil
la courbe formelle alanguie
de plants frémissants
dans les champs les plus beaux
la danse des abeilles
le rictus des moustiques
la lavande est si belle
et sent si bon
qu’elle guérit tous les maux

frisson

c’est quand l’eau de la mer
mouille le haut de ta cuisse
que le frisson te prend
les épaules se dressent
les coudes se serrent
le plaisir attend
de surmonter ce moment
tu écartes doucement
l’eau de tes doigts
comme pour la tester
bientôt tu plongeras c’est sûr
mais pas tout de suite

haltes

la vie est un passage
d’un état à un autre
rames de métro
couloirs tunnels
sentier des douaniers
entre mer et rochers
chemin de halage
chahut des sentiments
ne pas se retourner
prévient Supervielle
marcher avancer
le cœur rebondit
d’une étape à l’autre
à chaque halte
l’âme se nourrit
d’une infusion
de vie nouvelle

inspiré de Le Passager, d'Anne-Sophie Larcena

l'étoile

la goélette à hunier
réplique des paimpolaises
pêcheurs de morue
pointe fièrement
son long bout-dehors
poulies et cabestans
sont durs à souquer
pour manœuvrer
quatre voiles d’avant
mâtereau étambot
sont réparés
le bateau-école
peut repartir

démesure

quand la mer et le soleil
se rencontrent
c'est un choc de démesure
ici la côte est pointue
comme l’accent
les couleurs explosent de vie
l’écume de murmures
une gaité virevoltante
balaie l’horizon courbe
et quand le vent s’en mêle
un tourbillon de folie
s'empare sans effort

musique

la musique est en lui
peut-être même
comme certains artistes
la voit-il en couleurs
la musique est plus forte
que les mots
dit Alessandro Barrico
elle délimite
un monde à part
rythme et relief
où noble le silence
a gagné sa part
et qui parle à l’âme
en ligne droite
un monde ouvert
à qui veut
lui donner son cœur

barques de pêche

tirées sur la grève
les larges barques
au franc bord coloré
se racontent furtivement
leurs parties de pêche
et de promenade
pas le temps de se reposer
bientôt elles repartiront
à nouveau sur les flots
comme chaque jour

esquisse

parfois un bateau est juste
une esquisse de forme
un reflet dans l’eau
la proue fière clame
c’est moi la briseuse de flots
la coque s’affiche
comme un étendard
cachant le carré cosy
où le marin s’abrite
les jours de mauvais temps

grange

lieu de lumière et d’ombre
où se mêlent sans ordre
les souvenirs sépia
et les rêves d'avenir
la paille de l’enfance
et les étreintes furtives
les vieux outils rouillés
et les échelles branlantes
les nids abandonnés
et le toit qui fuit
on a tous 

soupir

la cote se découpe avec fierté
cachant des lieux secrets
les vagues languissent
ou s’abattent en furie
l’horloge n’égrène pas ici
les mêmes secondes qu’ailleurs
la mer se fond à l’horizon
les lignes s’entassent
et fusionnent en mourant
on dirait un soupir
qui dégusterait son bonheur

la ville la nuit

la ville la nuit
rouge et noir
traces de lumière
halos croisés des destins
filandres de vies
filant ailleurs
ou se terrant trop sages
la ville la nuit
monde de blocs
et de passages

olivier

l’olivier n’est pas
qu’un arbre rabougri
mainte fois taillé
il peut être fort
comme un chêne
et dominer la plaine
il est si vieux alors
il en a vu 
des merles le picorer
des hommes  le secouer
aujourd’hui enfin stérile
le centenaire apaisé 

chemins

chemins parallèles
sur saisons renouvelées
les couleurs de l’humeur
sont des coulées de larmes
et de joies mêlées
drapeaux du monde
mosaïque de nations
voyages voyages
aux nombreux arrêts
avancées mouvements
vers le haut
vers l’avant

anges bariolés

quand j’irai seul au paradis
je découvrirai ce pays
sans murs ni frontières
où tout s’habille
de couleurs allègres
les chemins et les arbres
les fleurs et les nuages
même les anges sont bariolés
et dansent en riant
ils me tendront la main
pour me faire entrer
dans la ronde large
tourbillon de sourires
et l’on tournera tellement
que les couleurs se mêleront
à nos âmes éthérées

l'arbre dit aux maisons

l’arbre dit aux maisons
vous voyez la mer là-bas
elle vient vers vous
pour vous envelopper
de son odeur salée
ici la lumière étincelle
le vent est un allié
espiègle et volage
quand le soleil s’invite
le temps paresse
et le sourire des gens
se plisse et rêve

alchimie

entrailles de la terre
ou de l’âme qui erre
sans soleil
c’est pareil
seule solution
pour exister
voir toutes les routes
s’ouvrir en même temps
prendre son temps
choisir son destin
sa voie dans les étoiles
créer un point de plus
qui brillera dans le ciel

Conseil: une fois sur les poèmes, passez d'un texte à l'autre avec les flèches du clavier