vous les vibrants

vous les vibrants les sensibles
scrutateurs d’infinis
voyants férus d’autres vies 
liseurs d’âme entre les lignes

vous détenez en vision
l’arc-en-ciel de lumière
qui éclaire dans votre œuvre  
les au-delàs d’horizon

vous en faites un bel usage 
toujours renouvelé
comme bat des ailes 
un papillon inépuisé

votre passion
avancer sans barrières
sur un chemin d’ornières
de creux d’irraison

vous y dansez libres passereaux 
inlassables chercheurs de beauté
notes matières traits couleurs mots 
vos ailes vos cris pour exister

truelles de l’origine du monde
flèches vives de l’espace et du temps
avec vous la terre n’est jamais ronde
ni le ciel frontière fermée au vent

derrière votre forme façonnée
le souffle naturel des choses
porte dans son cycle éternel
le voyage recommencé

vous êtes la houle et le sang
qui nous reconstruisent vivants
nous gens du passé fétus tristes
vous gens du futur les artistes

à la princesse I.M. et à ses pairs

vivre

penser qu’on peut exister
comme un diaporama où la pensée nage
sur l’océan bleu des mirages
créés d’instants juxtaposés

dans une vie multi strates
croire à l’obligation d’un sens
créé par le flux des convergences
quand ne vivent que dérives disparates

on voudrait s’imaginer
habitant d’un monde récent
on n’est que nervure de présent
dégoulinant de passé

dans la vie informe
rien ne se crée
rien de secret
ni les espoirs ni les candeurs 
ni les sourires ni les malheurs
ni les passions ni les regrets
tout se transforme 

même l’amour n’est plus ce qu’il était
alors dites-moi
qui suis-je 
sinon l’écriture d’un point d’interrogation
orthodoxe de la fluidité
paradoxe de la futilité

plus on s’interroge moins on sait
et plus on se persuade qu’on existe
sans savoir où on va
ni pourquoi on est là

qui peut me donner l’ambition
d’être au-delà de moi
comment vivre ma vie d’émoi
dans cette impermanence
plus je passe et m’use
plus les questions fusent
quel est le sens de ma vie passée
qui peut me convaincre 
que je ne suis pas rien
que je suis vraiment

autre chose que 
la goutte d’écume chassée par le vent
l’écorce de terre pendue aux filandres
le zigzag de lumière dans les méandres
le jour et la nuit fondant lentement

autre chose que
les notes de musique s’élançant en spirale
les non-dits auteurs de tensions inutiles
le théâtre obscur du verbiage futile
le brouhaha grossier d’un monde qui râle

autre chose que 
ce cri noué dans l’âme
cette pensée en va et vient
cette répétition muselée
comme un bourdon qui plane

heureusement 
il me reste un territoire inviolé
mes rêves mes nuits 
tintamarre d’absurdités
mélange d’âges et de lieux
voilà peut-être la seule réalité
ce capharnaüm étoilé

vivre c’est rêver
mais je ne suis pas fou
on peut tout omettre
quand il reste la vie donnée 
la seule vérité
qui peut rendre heureux
le seul concert audible
ces yeux qui me regardent
comme si j’existais pour eux 
ils me sourient ils me gardent

à tous ces futurs je dirai
merci de me tenir en haleine
je ne sais pas où je vais mais
avec vous le voyage vaut la peine

vie croquée

tu es la vie
croquée d’un large sourire
lumineuse élancée 
tu bondis
lune et soleil 
le même rire
tout est mouvement chez toi
flèche volant au but tout droit
mais qui flânerait en route
à ses moments de doute
secrète comme un pays de cocagne
où tu pourrais rêver
si l’envie t’en prenait

avec toi tout est possible
ils le savent bien
tu leur as donné la main
les voilà qui s’accolent
en farandole
tu es la vie 
avec sa force ses secrets ses espoirs
tu as les plus grands yeux du monde
ceux qui t’aiment y plongent en délices
dans un bain de jouvence
peuplé de connivence
tu es la vie

tu n’es pas un ange 
je le sais bien
je t’ai vue naître 
je m’en souviens
mais à te voir secouer tes cheveux
et poser sur le monde subjugué
l’immense voile de ton cœur heureux
on devine les ailes qui t’emportent
loin très loin 
plus loin que toutes les portes

à Z.

unisson

le bleu court
le marron noircit
le vert frissonne
le gris s’assombrit
la nature est un spectacle 
de couleurs qui fuient

le vent dans les feuilles
le soleil sur la peau
le brouhaha de la vallée
la valse des odeurs
la vie est un habitacle 
de forces invisibles 

le cœur s’emballe 
le corps refroidit 
l’âme s’attriste 
l'esprit s’enflamme 
l’homme est un réceptacle 
à l’unisson du monde

le coeur est une porte qui bat

le cœur est une porte qui bat
claquant comme un fouet
tout y passe sans filtre
la tristesse et les tempêtes
la souffrance et les sourires
les peaux qu’on voudrait caresser
les visages qui fuient

parfois à côté d’elle
une fenêtre s’ouvre
sur des nuages contrariés
l’ombre pieuvre étend son manteau long
sur les cris et les questions

il faudrait parler parler
mais les mots aussi mentent
et pas seulement l’âme
il faudrait se taire 
se regarder en silence
sourire quoiqu’il arrive
il faudrait s’envoler
imaginer se voir de là-haut
pixel parmi les pixels
puis zoomer jusqu’à la peau
plus profond encore
entendre et voir à l’intérieur 
le cœur cognant à toute heure
pulsion incompressible 
moteur irrésistible
pour qui pourquoi tape-t-il si fort

peut-être pour nous faire saisir
deux lois fatales de la vie
il faut se nourrir de ses malheurs secrets
il est impossible de vivre sans regrets
alors guidé par ces parapets gris
bordeurs de chemins incertains
lorsque se fermeront les rives de la nuit
épuisés mais sereins
nous verrons dans la folle ronde
la porte restée entrouverte
une dernière fois offerte
au passage entre deux mondes

tu ne crois plus

quand la nuit se disloque
vieille breloque
tu ne crois plus aux mots
masques menteurs
tu ne crois plus à la réalité
cinéma d’auteur
tu ne crois plus à l’autre
rétif miroir de toi
tu ne crois plus aux dieux
prégnants contes de fées
tu ne crois plus à l’amour
dénudé par les ans
tu ne crois plus à la vie
vidée de ses sens
et surtout surtout
tu ne crois plus en toi
et puis voila
le jour se lève
tu es toujours vivant

temps flou

le temps me fuit
se dissout se disloque s’effiloche
je ne sais plus qui il est
à quoi il sert
il s’évapore sans bruit
vidant sa substance
dans des univers parallèles

avant tout était simple et horodaté
l’homme maitre de l’espace-temps
aujourd’hui tout est flou et mou
quelle heure est-il tout le monde s’en fout

il fut un temps
où le temps n’existait pas
puis quelqu’un l’a inventé
pour le confort des hommes
je saisis peu à peu
ce qui se passe en douce
ce signal vicieux 
qui échappe au monde
cette métamorphose cosmologique
l’irréversible impulsion
vers l’impermanence des choses
le retour aux sources
les objets sans forme
la fin de la dualité
je devine sans l’admettre 
l’incroyable vérité
le temps virtualisé

le problème c’est moi
je ne veux pas être impermanent
dissous dans la vacuité
ni mes passions mes envies mon ego 
ni mon verbe ni ma moto
un combat inutile se livre en moi
perdu d’avance
ma chair mon âme mon esprit
contre l’unicité du vide de l’univers
quelle absurdité

mais non tout n’est pas fini
je me dépêche d’écrire 
pour qu’il reste une trace
avant que cette implosion 
ce big bang à l’envers
n'emporte tout dans le torrent
d’un trou noir irréversible
la fin de la mémoire et du temps
j’écris j’écris j’impulse je draine
rempli d'amour et de haine

pleutres adorateurs
de l’évolution naturelle
et stupide des choses
méfiez-vous
un jour
je créerai un courant contraire 
celui de la douceur et de l’amour
des discours et de l’enchantement
sans chichis ni honte 
apuré
rythmé de rendez-vous réguliers
que personne ne pourra manquer
car ce jour-là
tout le monde portera une montre

sans toi

j’aurai beau explorer les chemins enclavés
libérer les folies saturées d’arcs en ciel
dessiner les pays aux douceurs irréelles
sans toi à mes côtés je ne saurai créer

j’aurai beau embrasser le monde symphonique 
poussé par l’océan des notes turbulentes
prestigieux maestro de pulsations démentes
sans tes mains d’artiste j’oublierai la musique

j’aurai beau tout chérir d’un désir enchanté
les âmes éperdues les plus amples tourments
vivre l’or de ma vie comme un tableau flamand
sans ton amour clément je ne pourrai chanter

j’aurai beau apprécier les sillons de la vie
creusant leurs cicatrices comme autant d’étendards
dans mes jours suspendus à ta lumière phare
sans ton regard sur moi plus rien ne resplendit

rage

rage 
fureur 
mal de vivre 
vieillir 
se taire
ruminer 
si peu d’envies
rien à croire
et puis 

revivre 
tout à coup
ciel auroral bariolé
phrase ciselée
regard bleu du désert

se dire 
qu’on n’est pas encore mort
renaître
au coin d’un bord de mer salée
descendue si loin
déshabillant grèves et rochers
sous un ciel à étages
d’une infinité de gris 

crise narcissique totale
tous ces gens 
ces lieux 
ces objets 
ces idées
sans intérêt 
ni passion 
ni avenir
prégnance de la banalité
parole libérée
parole parasite
parole inutile

je voudrais du silence
longtemps 
longtemps 
se taire 
ne pas se plaindre surtout
faire semblant de sourire
que personne ne sache
que la peine se cache

et puis 
continuer de rêver
se perdre dans les sens et l’indicible
chercher partout la beauté
trouver ce qui surnage
un tout petit bleu 
dans la vie grise
se dire 
que ce n’est pas encore fini

quand je serai vieux

quand je serai vieux
rongé par les lunes
je me souviendrai
des si mauvais jours
et je me dirai
les ans pèsent lourd
le chemin se serre
devant est si près
qu’on ne connait rien
ni même où on va
mes pas sur le sable
droit vers l’océan
où vont-ils ensuite
et pourtant je rêve
de ciel plage et mer
vieillir c'est marcher 
sans se retourner
dans un grand brouillard
qui s’épaississant
pose tout son poids
sur sa courte vie

oubliez-moi

grandiose
sublime
définitif
j’accepte de mourir
bien obligé hein
mais attention 
sans souffrir
ni finir gâteux
eh pourquoi pas
quand on désire très fort 
quelque chose
et que ça se produit
qui peut prouver 
d’où viennent
ce hasard télépathique 
ce miracle biologique
cet esprit œcuménique
qui sait

dans ces conditions calmes
mourir sans état d’âme 
ne serait rien d’autre
qu’un passage obligé
imperceptible changement d’état
une fois je respire
une fois je ne respire plus
à peine si l’on voit la différence
quelqu’un dirait tiens il est mort le vieux
comme s’il disait tiens il pleut
personne ne pourra discerner
ce grain de sable envolé
dans la tempête cosmique

seul souci
je ne veux pas faire de peine
à ceux que j’aime et qui m’aiment
à ceux-là je dis
oubliez-moi
vous allez voir
c’est plus facile qu’on croit
et rapide
oubliez-moi
un peu plus chaque jour
où que je sois
l’oubli tranquille et progressif
seule solution à la vie après la mort
oubliez même
que je vous aime
si mal d’ailleurs
que ça n’en vaut pas la peine
oubliez mon visage et ma voix
fragiles fusibles de l’être
oubliez mon âme aussi
incongrue sans relief
si peu inoubliable
mots volatiles
émois dociles

quand je serai mort
mon être sera
sans importance pour vous
soit il vivra sans vous
soit il n’existera plus
mais vous n’en saurez rien
oubliez les moments vécus ensemble
créations de l’atomique hasard
oubliez-moi 
de haut en bas
de dos de profil de face
oubliez-moi
sans effort
avec le temps qui efface
les minuscules traces
et quand vous m’aurez oublié
vous verrez
vous vivrez mieux
sans vous poser la question
de savoir si j’existe encore
quelque part

quand je serai mort
j’aimerai vous dire où je suis
je vous dirai
que je vous aime encore
que c’est vous 
qui m’avez fait exister
vos pas
votre souffle  
vos bonheurs
et même vos souffrances
qui devenaient les miennes
je n’aimerai pas mourir
sans avoir dit aux gens que j’aime
que je les aime
j’aimerai vous dire 
là-bas
dans cet ailleurs inconnaissable
que je pense à vous

mais du néant c’est difficile
et sinon
si jamais je pouvais vous parler
je serais sans doute surveillé
par un vieillard grincheux
comptable pointilleux
de mes grands et petits péchés 
quel ennui mon dieu

mes amis
un dernier mot
celui-là ne l’oubliez pas
même si vous devez oublier 
qu’il vient de moi
une expression tellement banale
qu’elle passera inaperçu
après tout ce temps perdu
je me sens moins nu
je sais enfin comment il faut vivre
moi-même je n’y arrive toujours pas 
autruche 
baudruche
mais je le sais
je le scande
il faut 
goû-ter l’ins-tant pré-sent
à tout moment
comme s’il était unique
sans après et sans avant
goûter d’un geste laconique
l’ici et le maintenant
du karma bouddhique
par essence par définition
le monde n’a pas de sens préexistant
c’est vous qui le lui donnez
respirez 
simplement
tissez vous-même
votre lien aux autres
devenez votre univers
en couleurs 
rose et vert
souriez 
c’est plus difficile
mais ça détend
faites le plein 
de l’instantané
je regrette tellement 
de ne pas l’avoir fait
pour moi c’est trop tard
un vieux ça ne pleure pas
ça geint
ça se souvient 
quand ça peut

je crois que je mourrai sans regret
mais pas sans peur
j’ai peur de la peur de mourir
je me vois essayant de me raisonner
si j’ai encore ma tête
voyons c’est simple
soit il n’y a rien et alors basta
paix aux morts et vive les vivants
soit il y a quelque chose
et ce quelque chose
prend tellement de formes inimaginables
foldingues 
énigmatiques
qu’il ne sert à rien de s’énerver

parmi les scénarios alternatifs
je me regarde et je me dis
peut-être pas tout de suite le paradis
mais l’enfer quand même non
ce n’est pas pour moi
j’opte pour la probabilité 
du purgatoire
en mesure conservatoire
mais combien de temps
on s’en fout
le temps n’existe plus
de quoi te plains-tu
homme veule et nu 

devant toi familière

devant toi 
familière
la grande ourse 
immense
t’attire 
invinciblement
dans ton dos 
la voie lactée
tombe 
en léchant la mer
face à toi 
le lever de vénus
l’incroyable éclat 
de jupiter 
star du ciel
pressée 
une étoile filante 
vient te saluer
et quand tu regardes 
vers le haut du mât 
le feu de ton voilier 
ajoute une étoile au ciel
les lumières blanches 
du plancton et des méduses 
défilent 
sous le bateau 
dans un ruban sautillant
tu ne sais 
si tu les déranges 
ou les attires
et puis
ce bruit mouvant 
du sillage 
sur la coque
à la fois caresse force 
et destin
l’écran glauque du radar 
et ses taches vertes
pour te rappeler 
que tu n’es jamais seul
l’horizon percé 
de points lumineux 
à décoder 
la mer noire
qui te cerne 
te porte et te surveille 
et ton regard 
qui ne sait où se poser
vers l’eau 
ou vers le bateau 
vers l’extérieur 
où vers l’intérieur de toi

sur le voilier O., nuit du 27 au 28 juin 2022, entre Minorque et Palamos. Hommage à L-M.B. et C. B.

morts sombres

dans le désert où tout est répété 
enfouis par des années de terre rocailleuse 
confinant en sépulcre leurs âmes rêveuses
je contacte les morts sombres sous mes pieds

je les devine qui souffrent gémissent
au souvenir des chevaux mors aux dents
et des troupeaux de yaks aux mille sangs
moutons et chèvres mêlés aux comices

le temps s’est arrêté je sens
le temps serpent temps araignée
grand moqueur de l'air et des gens
maître de l'univers du vent

et pourtant sous le ciel de pluie
la roue a tourné malgré lui
des 4x4 se sont introduits
violant le passé du décor
insouciants du tumulte en terre
où se découragent les morts
égarés surpris délétères
cassés par le cri des moteurs 
le crépitement des radios
le grésillement des antennes
tous les dieux anciens sont outrés

et quand nous partirons tristes bohèmes
enchainés au présent des charlatans
laissant seuls les nomades survivants
les morts ne seront jamais plus les mêmes

moine bouddha

moi le moine je suis bouddha
à côté du bouddha
j'ai son sourire
le même sens de la vacuité
de l’être et des objets
une perception réservée aux initiés
alors quel est le plus bouddha des deux

jour après jour le vide se fait en moi
je m'approche de la vraie nature du monde
mon ego perd sa forme
j'ai déjà renoncé à tout 
je respire l’impermanence des choses
tout viendra à moi
même vos regards votre brouhaha
je les accepte 
ils s'intègrent à l’harmonie naturelle

ne cherchez pas 
il n'y a rien à trouver
laissez simplement la paix venir en vous
et vous sourirez
comme moi

lumière et vie

elle me dit
que la lumière soit
mais la lumière fuit
elle insiste elle me dit
je suis la lumière
alors pour lui plaire
j’imite Giono
si tu veux ta place au soleil
ne cherches pas à faire de la place
fais du soleil

subjugué par le sortilège
je saisis mon crayon sacrilège
j’écris longtemps fiévreusement
de tout mon être frémissant
je veux du soleil et de l’ombre
sur les murmures des enfants
je veux des rayons de folie
sur les silences des murs blancs
transperçant le fil de la vie
j’entends la vibration du monde
née de chaque instant altérable
distillé par l’infinie ronde
des joies et peines insatiables
le soir ensemble tapis
on écouterait 
la douce nuit tomber
sur nos têtes alanguies
on pleurerait un peu
sur le passé sinueux
sur les destinées mystérieuses
l’élégant ciel de Provence 
rose et bleu
serait strié
de ses trainées vaporeuses
la cigale infatigable 
continuerait de pousser
son cri rogue et nu
d’un air peu aimable
sans souci du noir venu

et le matin 
la lumière clamerait 
je suis là
à nouveau
plus forte qu’hier
plus déterminée

ici même l’ombre te donne la force de vivre
à la frontière de couleurs infinies
tu discernes tout 
les peines et les envies
les chagrins et les désirs
tu vois la vie qui s’agrandit de courbes floues
tu vois les mains qui se tendent et se nouent
tu vois les yeux des autres qui te disent vas-y
pleure aime joue ris
tu vois l’amour qui enveloppe tout
dans ses bras ivres et doux
ton cœur apaisera ses cris

le violent torrent de ton âme
grâce à ces yeux affectueux
suivra un cours moins frénétique
goûtant même l’égarement
le temps devenu flegmatique
vibrant au rythme du présent

alors
plein de gaieté reconnaissante
ce jour serein de l’accalmie
à ta jeunesse impatiente
je dirai simplement merci
d’avoir su me parler 
juste quand il le fallait
de lumière et de vie

à L.

libellule

tu as la grâce libellule
un sourire énigme de muse
le cœur gros comme un gros diamant
cœur d’or cœur d’amour cœur vibrant

marchant sur la pointe des pieds
de peur d’abimer le sentier
de la vie riche que tu sculptes
tu embrasses la terre entière
les arbres les fleurs et la mer

d’un air tranquille sans tumulte
tu croques tes rêves d’enfant
qui s’envolent en riant

tu es si farouche et secrète
qu'on n'ose t"effleurer
mais du haut de ton port de tête
victorieux altier
tu abrites un monde bleu
qui rend les gens heureux

pélican et iguane

le pélican a-t-il des dents
l’iguane une âme
qui sait
ici tout est différent
tout respire autrement
dans ces îles capricieuses
la mer n’est pas un gouffre amer
mais une vasque de coraux
où se trémoussent des poissons bleus

plus loin sur la côte 
la terre exhibe fièrement
ses orgues basaltiques
et là-bas sur la ligne verte
les surfeurs s’égaient en pirouettes

le coco à coque dure
tombe avec un bruit mat
sur le sable de la plage

la voile est un tamis 
où l’on se niche
entre le ciel et l’eau

au soleil de l’ile papillon
nos yeux se sont plissés
nos peaux couvertes d’écailles
nous sommes redevenus tortues
nos cœurs battent lentement
ici pour un instant
le temps a posé ses fardeaux

noir pour mourir

j’entends je vois la nuit
poignées à abaisser
volets de fer fermés
crissements nus des bruits

siffleurs de sphères vertes
marches blanches du pin
ronronnements urbains
branches nouées désertes

mats gris de parasol
arrière-plans mêlés
bleus blancs du haut lavés
chats glissant sur le sol

roulement lourd du train
cris du bas des maisons
fumées hélice en rond
carrés de vitres teints

puis les sons vont s’éteindre
les visions s’obscurcir
dans le noir pour mourir
je ne pourrai plus feindre

las des brumes

las des brumes
délabrées
l’enfant hume
l’air vicié

secouant
nez et tête
sur des joues
maigrelettes

il s’en va
respirer
tout là-bas
un air frais

lac étrange

décor sombre pays étrange
aux multiformes entrelacs
ta vie se déroule sans toi
dans un rêve de peau d’orange

un lieu d’acteur et spectateur 
que tu hantes passant blasé
tout y est de travers raté
absences rendez-vous sans heure

tu vois mille chemins balourds
dans ce bazar de cinéma
se proposer à tes pieds las
embourbés à ce carrefour

la tête levée vers le ciel
tu voudrais indices et signes
mais les nuages sont indignes 
avares et caractériels

c’est à toi de les enfanter 
idiot tu n’as donc rien compris 
c’est dans tes pas que se construit 
le chemin de la liberté

la pluie avant après

la pluie n’est plus ce qu’elle était
tendre mélancolique rieuse 
annoncée par de subtils frémissements
de l’air gai toujours printanier 

quand elle arrivait enfin 
heureuse 
quelle fraîcheur 
quel soulagement 
ses fines gouttes en prélude 
ne mouillaient pas vraiment 
prenant toutes les formes possibles 
selon son humeur 
elles se dégustaient sur la peau 
et le monde s’en accommodait 

avec le temps tout a changé 
la pluie est devenue brutale 
surgissant sans préambule 
tempétueuse en permanence 
longs jets penchés et coupants 
qui mouillent lourdement 
pour faire mal

il pleure toujours dans mon cœur 
mais plus jamais comme il pleut sur la ville 
car il y pleut méchamment 
le chant n’est plus doux 
il est tumulte 
cacophonie 
la pluie est un océan furieux 
une houle obscure 
elle débarque et part sans préavis 
et quand sa tornade impétueuse disparaît 
elle laisse derrière elle un immense gâchis 
la terre dévastée 
et les cœurs malheureux 

la pluie ressemble à la vie

l'eau qui te sauve

la nuit règne l’absurde
le jour l’incolore
les mots résonnent vides
comme des falaises guettant la mer 
où de grands rochers muets 
camouflent leur récit
le soleil se dérobe
te laissant seul 
face au néant

même les chiens errants
marchent l’œil triste et bas
le silence ne sert à rien 
quand tu es sombre et las
tu n’as rien à pleurer
ni à regretter
rien à oublier
l’ombre pieuvre s’étend
tassant les reliefs du passé
ta vie s’étale plaine rase
fatal désert de la banalité

et puis 
de très loin
lentement
fantômes errants devenant réalité
se dévoilent en procession
la pensée d’un sourire 
l’odeur douce d’une peau caressée
une flèche de lumière dans les nuages percés
des taches s’élargissant en bleu et blanc
pour colorier un nouvel univers

alors 
les cônes de pluie s’éloignent
la tristesse se dissout dans les limbes

et surtout 
ton cœur bat
quand tes pieds nus se crispent sur le sable
tout revient 
dans une bouffée submergée de sens
exquise tiédeur
mécanisme huilé de la pression 
talon plante orteils 
pointillisme de la texture
plaisir inégalé de cette marche unique 
éphémère
la longue trace de tes pas
bientôt couverte par la mer

as-tu remarqué
c’est toujours l’eau qui te sauve
le souvenir de son odeur salée
le cycle du roulement de la marée
l’écume qui point avec le vent
il suffit que tu songes 
à une plage nue d’hiver
sur le relief breton
pour que tu plonges 
et t’immerges sans raison
dans le non-dit de l’enfance
à nouveau tu avances
à nouveau tu espères

l’automne malgré tout

l’automne est là malgré tout
malgré la folie des hommes
la fin des embrassades
et des câlins furtifs
malgré le regard méfiant planétaire
l’automne est venu sans se presser
les feuilles du chêne roux me narguent
le liquidambar a fini par rougir
l’acacia a pris sa forme squelettique
ce n’est pas encore de l’espoir
c’est une lueur dans la lourde brume
des esprits martelés par l’angoisse
le temps me dit qu’il est plus fort que moi
bah je le savais déjà
mais je l’avais peut-être oublié
déboussolé et perdu
dans la contagion prégnante des corps et des cœurs
dans l’éternité apparente de la maladie
j’ai peur de mourir dans d’atroces souffrances
et de laisser en plan tous ceux que j’aime
alors je regarde le chêne mûr et je souris presque
malgré la pesanteur des jours morts
malgré l’incohérence de la parole inutile
et doucement en respirant je me dis
que je reverdirai comme lui

jamais seul

je suis seul dans le désert de sable
quand survient un berger en mobylette
cherchant quelques chèvres 
disparues pendant sa sieste
ensemble nous avons pris le thé en riant

je suis seul sur mon bateau
dans l’atlantique alizé 
quand je croise un grand voilier 
en course autour du monde
j'ai la priorité mais je le laisse passer
je reçois le salut des équipiers

je suis seul dans la forêt ronde
quand je vois un écureuil 
effrayé par un chevreuil 
effrayé par moi
je pars sur la pointe des pieds
mais le mal est fait

je suis seul sur la page blanche et rose
quand les mots viennent et me sauvent

je suis seul dans la foule dense
et je le suis resté longtemps
jusqu'à ce que reviennent ces moments
qui me disent la même chose

dans ma vie d’actes et de pensées
plus jamais seul je serai entouré à toute heure
de mes souvenirs autour du coeur
et de mon passé entrecroisés

infinis sept

7 secret magique cabalistique
saints de bretagne premiers immigrés
esther et ses belles prophétesses
péchés capitaux tellement attirants
thèbes et ses trop nombreuses portes
menorah chandelier bizarre avec tant de branches
elohim fatigué ajoutant un jour de repos
rayons du dieu soleil quand il t'éblouit
versets dans la sourate al-fatiha pas un de plus
époque archaïque des sages grecs chacun sa maxime
indicatif téléphonique international de la russie
nombre de chakras et de villes saintes hindoues
couleurs de l'arc en ciel 
étoile polaire et ses copines de la petite ourse
seven up youp la boum joyeux anniversaire
diacres ordonnés par les apôtres
ut et les autres notes ça suffit                     
années de malheur si tu casses un miroir
oumra période où tu marches tu marches 
naga le serpent dont tu dois te méfier
dormants d'éphèse jeunes et vieux
et pour finir bien sûr et pour toi 
la rose et ses foutus pétales

inanité

mon âme est le vent
mon corps la terre boueuse
ma vie une plante
entre ciel et terre
nu l'arbre est un arbre
feuillu aussi mais alors
que se passe-t-il
entre deux saisons
la feuille tombe sur le sol
et s'y installe
qu’y recouvre-t-elle
qui vit sous elle
formes sons et odeurs
je vais tout oublier
et rester arbre
repliant ses branches
et quand je serai vide
nu de toute frondaison
je ricanerai
d’inanité

comme un son de renaissance inédit

quand la mer frustrée de ses va-et-vient
aura stoppé d’inutiles marées 
quand les sourires se seront lassés
d’avoir créé ce monde vide et plein

quand la fin de l’amour aura tendu
son manteau ouaté sur les âmes nues
quand la poussière suspendue en l’air
aura révélé de nouveaux mystères

quand la course du ciel sera courbée
par le poids des remords et des regrets
quand les nuages auront dit au monde
voici l’ultime ronde vagabonde

quand les collines là-bas et les monts 
auront tourné leurs obliques rayons
vers d’autres esprits objets et regards
que ceux des hommes lisses et hagards

je me tairai mes mots n’auront plus d’âge
ni mon cœur ni mon âme de courage

peut-être alors rompant le non-dit
tintera le chant d’un nouvel héraut
prolongeant son air d’écho en écho
comme un son de renaissance inédit

encouragé par lui on pourra

relancer la course des nuages
faire retomber poussière et vent
redresser la tête des montagnes
libérer le ciel en mouvement
caresser la mer et son tangage

et c’est ainsi que nait la nouvelle ère
abrupte qui renverse les chimères

fous de mer

il se croit seul
en pleine mer
moi aussi 
sur l'océan féérique
nous nous sommes reconnus
dans la nuit mosaïque
solitaires au coeur nu
lui oiseau de mer épuisé
qui n'a rien à faire ici
moi marin absorbé
par les heures de veille
qui réveillent le passé

l’oiseau s'installe sur les filières
il danse à l'aise
je n'ose lui jeter un œil
de peur de l'effrayer
pour lui je n'existe pas
je suis à la fois
agacé de son mystère
et touché par sa grâce 
j'essaie de barrer sans à-coup
pour ne pas effrayer l’animal
une gageure dans l'atlantique
le cap ne fut pas fin cette nuit-là
 
branlé par la houle
il bouge comme un fou ce fou
qui n'est pas un fou 
mais un cormoran égaré
qui se dévisse le cou

je pense qu'il dormit
à un moment je le vis
la tête sous l'épaule
le corps oscillant
au rythme du bateau
soulevé par la mer

à l'aube il disparut
sans me dire au revoir
je ne vis n'entendis rien
ni souffle ni soupir

mais maintenant je le sais
grâce à lui l'oiseau fatigué
en pleine mer en pleine nuit
je ne serais plus jamais seul 
à toute heure
pensant à lui
je vivrais pleinement ma vie
au mitan des océans ou d’ailleurs 

à  J.V. et Golok  

haies

tout ce qui existe 
est là-bas présent
derrière la haie 
caché mais vivant
il faut y aller 
quitte à s’écorcher
ôter ce qui gêne 
à coups d’oxygène
et quand on y est 
tout a permuté
 
rien n’est révélé naturellement
tout évolue dans un temps progressif
vivre n’est qu’un glissement agressif
de l’ombre des réalités des gens
 
il faut imaginer ce qui sera
rien ne reste figé ci et là
enseveli pêle-mêle 
dans un passé poubelle
 
je hais les haies
elles sont partout 
devant derrière
sur les côtés
 
la vie est un enclos de reclus
il faudrait être singe ou kangourou
quand on est limace ou serpent
il faudrait être gourou
quand on est mouton
bêlant ses reproches et ses regrets
sa malvoyance et ses fragilités
 
l’homme est un animal qui pleure
cloitré il ne saura jamais
son talent pour l’éternité
dans le grand tintamarre des heures
 
je voudrais être un grand oiseau
volant sur les arbres les eaux
les petitesses les soupçons 
vers l’hypnotisant horizon 
toujours plus loin toujours plus fort
comme sont la vie et la mort

dehors dedans

dehors
bleu blanc vert
couleurs prégnantes
avions filant
vers leur destin
joyeux cris d’enfants
montant de la vallée
les oiseaux discutent
revenus de loin
sans me dérider

dedans
rien ne sourit
mes sens reliés au monde
ne m’y ont pas attaché
je ne saurais jamais
qui je suis
spectateur de ma vie
toujours en attente
de quoi

d'abord le vent

ici 
on vit 
on sent 
différemment

d’abord le vent incessant
pénètre les pores
cure de désintox
massage brutal et caressant

puis le soleil impérial
se heurte aux nuages 
les couleurs claires de la mer
mordent les palmiers
au pied des mornes rouges

l’accent met en relief le sourire
de gens calmes et lents
le pélican brusque plongeur 
repart lourd et décidé 
l’iguane d’un autre temps 
s’arque sur la pierre grise

les taches de fleurs nonchalantes
se penchent vers vous
comme pour vous dire
respirez calmement
revivez 
oubliez le temps
laissez parler les sens 
renaissance

éternelle universalité de la douleur

quand leurs maris sont partis
il y a des siècles semble-t-il
les deux femmes bouddhistes
sont entrées au temple de Gandan
chaussées de leurs bottes mongoles
elles y sont restées
leurs doigts égrenant le temps
sur de longs chapelets ridés

les jours de marché
assises là dans ce recoin
toujours le même
recroquevillées
sur les marches du temple
aussi usées qu’elles
elles parlent à mi-voix
des gens qui passent 
avec le temps
comme s’ils avaient de l’importance
et ils doivent en avoir
puisqu’elles sont encore là pour en parler

chaque fois qu’elles se retrouvent
la conversation reprend
à l’endroit exact où elle s’était arrêtée
elles commentent de minuscules épisodes
le fil de la vie se déroule
c’est le tout qui forme le monde
tout se raconte
plus rien ne les surprend
mais tout les intéresse
surtout les choses du dedans
car leurs yeux plissés de compassion
sont tournés vers les âmes qui souffrent
les sans voix les solitaires les épleurées
celles qui subissent en silence
l’éternelle universalité de la douleur

cicatrice d'amour

la cicatrice d’amour
a le regard fulgurant
d’un vif éclair de soleil
zébrant le ciel bleu et lourd

sur sa peau les souvenirs
s’égrènent avec le cœur
entêtés ils apparient
les sourires et les pleurs

alors tous les sens s’éveillent
les odeurs mêlées aux sons
les parfums le long du corps
et les vibrations du temps

là d’une branche invisible
un oiseau s’orne de trilles
secouant de toutes plumes
la vitalité de l’air

chaque fois qu’un être chante
la mort cède note à note
pas après pas sans raison
comme une distraction

alors l’âme se renforce
de questions et de réponses
la vie n’est plus qu’un puzzle
passé recomposée

avec des pièces triées
pour leurs couleurs fortes
leurs arêtes sectionnées
aux places les plus accortes

on remanie sa mémoire
avec d’arrière-pensées
pour créer sa vie dorée
avec ses heures de gloire

la seule vraie à toute heure
la voie rêvée du bonheur
celle de l’enfant vainqueur
qui souffre rit et qui pleure

chevauchées et clôtures

roulement lourd de la chevauchée 
plein soleil
la plaine et la poussière
la liberté et la contrainte
la fatigue et la joie
le bonheur peut-être

à bien y regarder pourtant
lourdes sont les selles 
dures et longues les jambes des cavaliers
implacable le mors en bouche des chevaux 
pour les tenir au carré
pas question de ruer
comme à côté d'eux les copains libres
là où le cavalier décide ils devront aller vivre

les chevaux s'ébrouent lentement tête baissée
ils savent tous que le soir advenu c'est sûr
ils seront enfermés par les mêmes clôtures
où les a mené ce brouhaha indompté

la vieille

elle compte plus de rides sur sa peau cuivrée
que d’années dans son corps voûté
toujours elle baisse les yeux et fronce le nez
sans sourire et sans le faire exprès
le soleil distribue la lumière et l’ombre
sur un visage auréolé
ses fins cheveux gris et ambre
amplifient la force de sa stature
pour elle le temps qui passe et qu’il fait
n’a pas notre valeur hypertrophiée
elle l’a définitivement apprivoisé
derrière ses yeux plissés

voir dans Poésie de l'Art une mise en scène avec illustration IA

j'aime la musique qui chante

j’aime la musique qui chante
sans les piaillements d’un saxo courant après les notes
j’aime l’harmonie horizontale qui raconte une histoire
sans la fureur verticale qui plaque des accords impossibles
j’aime le silence l’introduction l’espoir
au piano je n’aime pas les mains qui s’entrechoquent
j’aime la main gauche qui épaule la main droite
qui lui permet de chanter
j’aime la note qui dure un peu plus longtemps que prévu
suspendue dans cette attente où tout s’imagine
j’aime la musique qui permet de créer sa musique
comme un tableau commencé par l’artiste qu’on pourrait poursuivre
une palette de couleurs à compléter en ouvrant les mains
j’aime quand le souvenir s’incruste
quand la vibration s’accorde à l’âme
une fréquence inconnue dans les livres
j’aime la sublime guitare
quand elle offre chaque note
ciselée comme une œuvre d’art
et la mélodie qui se déploie comme une symphonie

berceau

dors l’enfant dors
dors l’enfant d’or
propre et sanglé dans la blancheur
rentre ton petit pied sous le plaid
ferme tes yeux de poupée
envole-toi dans tes rêves purs

mais pourquoi veux-tu que je dorme
tu vois bien j’ai les yeux grands ouverts
parle-moi plutôt d’un autre monde
les gens s’aiment-ils chez toi
les enfants y reçoivent-ils des câlins doux et chauds
comme ceux de grand-mère quand elle se penche sur moi
leur raconte-t-on aussi des histoires étranges
sur les esprits des vallées qui reviennent vous voir
et que dit-on le soir à la veillée

dors l’enfant dors
tu as le temps de grandir
plus tard tu te diras
j’étais si bien bébé
dans mon berceau de bois sculpté
dors l’enfant d’or
l’autre monde peut attendre

blonde cavalière mongole

je suis la blonde cavalière mongole
et je vais gagner la course du Nadaam
la fête aux deux mille chevaux
je m’envolerai sur mon petit étalon
qui ne craint ni les loups gris
ni le creux des vallées sombres
ni le hurlement des fouets
ni le sifflement des serpents

personne ne pourra nous rattraper
sur les trente kilomètres de course
car je suis l’air et la vitesse
je suis l’arc et la flèche
je suis le vent de la steppe
et je me fondrai dans son souffle

restée au village ma mère prie les esprits
pour qu’ils libèrent ma route et guident mes pas
ne faites pas confiance à mon sourire timide
je suis celle qui ne pardonne rien
depuis que j’ai deux ans
père et grand-père m’entraînent tous les jours
qu’il vente ou qu’il neige
avec mes frères et mes sœurs
garçons et filles mélangés qu’importe
que le meilleur gagne
il portera nos couleurs
et ce fut moi l’enfant sauvage

je connais tout du cheval et de la course
que les autres s’approchent
avec leurs espoirs vains leurs muscles inutiles
leurs cravaches et leurs rictus
ils ne peuvent rien contre nous deux
toi ton dos fort court et droit
moi mes reins souples et mes jambes d’acier
et ma main que tu connais par coeur
cheval mon frère nous ne ferons qu’un
notre corps à corps comme une musique
battra le rythme millénaire de la terre

et quand j’aurai remporté le trophée « tumny ekh »
moi l’imparable déesse pubère
la Mongolie entière clamera mon nom
et celui de ma tribu
pour la nuit des temps

j’ai dit

arrête le temps

arrête le temps
assieds-toi sur une chaise face au soleil
pose les mains sur les genoux
tranquille
lève le menton pour dérider le cou
déjà t'as l'air moins vieux ainsi
t'es drôle la tête en l'air
tu ressembles à un pingouin
qui chercherait les bruits de l'univers
ferme les yeux
laisse la lumière te chauffer la peau du visage
suis la fièvre qui court et descend vers les épaules et les mains
tout doucement progressivement
il faut absolument qu'elle arrive jusqu'au pied
cette chaleur du ciel
et qu'elle penètre la terre
à travers toi
alors seulement
tu seras lié au monde
tu seras peut-être yin et yang
mais pas encore
respire doucement
sans faire de bruit
par le ventre par le centre
soyons précis gonfle le ventre quand tu inspires
et creuse-le quand tu expires
voici le souffle chinois de l'énergie
et du taichi
qui te baigne et te prends avec lui
filtre les sons
ne laisse entrer que ceux qui te plaisent
l'appel de l'oiseau
le vent qui bruisse
et d'ailleurs
peu à peu
tu n'entends plus les sons
tu ne perçois que les vibrations
et voilà
c'est tout
tu as rajeuni de quelques minutes
pendant tout ce temps où tu as oublié le temps
c'est même mieux que cela
en fait le temps t'a contemplé
et il s'est arrêté
par respect pour l'homme qui cherche

homme d'ombre et d'onde

avant
j’étais un homme d’ombre et d’onde
pleurant seul
ballot d’aube
et me voici lumière active
chassant l’inutile
fuyant les prémices obscures de la mort
long fut le temps où je cherchais l’indicible
au-delà de la poussière des jours
aujourd’hui je cours
hâté par les battements du coeur
peuplant le présent d’un corail de pacotille
futile barrière anti-futur anti-noir anti-tout
j'étais larve du soir fantôme d’attirance
et me voici prévisible espérance

fallait-il hier se fondre 
dans les couleurs neutres 
du feutre automnal
ou faut-il maintenant 
vibrer bêtement 
sur des fréquences arc-en-ciel
entre douleur et fureur
je suis à jamais inachevé
comme le plus petit des hommes
j’aime cette ressemblance à la communauté
j’appartiens à l’humanité 
par mon incomplétude structurelle
plus je suis imparfait plus je m’ancre
quand je crie mon impuissance 
l’écho de la terre se pare d’infini

ma solitude est multiple
mon désespoir infime
mon avenir sans surprise
mes mains fabriquent ma tour d’ivoire
tandis que sèche mon coeur
je vois une vie sereine 
avec des yeux de comptable
quand je vivais l’errance 
avec une âme de poète

la marque du bonheur 
imprime mon sourire
ma peau est lisse 
comme un bébé
j’ai perdu mes crevasses 
en même temps que mes cheveux
je marche droit vers la fin 
avec une force joyeuse et contrôlée
la route monte de plus en plus
le soleil me frotte le dos
il me dessine une ombre gigantesque
je reste coi
les oreilles bouchées de certitude

un jour peut-être 
se marieront mes deux destins
mon passé d’abondance et d’ébauches
et mon présent de fer apparent
ce jour-là gare je serai le roi de la terre
je n’aurai plus qu’à mourir et comparaître

alors je dirai à Dieu
Seigneur, me voici
pêcheur à occurence multiple
(vous seriez jaloux d’un saint)
j’ai cherché et suivi toutes les voies qui mènent à vous
j’ai rêvé et j’ai agi
j’ai aimé et j’ai créé
j’ai pleuré et combattu
j’ai écouté et j’ai dirigé
j’ai donné et entrainé
mes rêves me rapprochaient de vous
mais dans une forme d’inutilité
mes actes me rendaient insouciant
mais je perdais le sens du bien
l’amour m’a comblé
dans un quotidien douteux
mes pleurs étaient des gouttes d’insuffisance
mes combats une vaine agitation
et quand j’ai voulu emporter d’autres derrière moi
j’ai souvent quitté les routes de la théorie
pour un chemin ou tout est discutable

Seigneur me voici
que fallait-il faire
et Dieu de sa voix caverneuse et douce
me donnerait enfin cette réponse
que je ne connais pas
et qu’il faut que j’attende encore
esclave combattant avec ses deux vies
homme fatal de la dichotomie
imparable amant du futur antérieur
funambule de l’inestimable impossible
gratteur de racines incomestibles
chercheur  d’ailleurs successifs
vasectomisé génétique du chromosome bonheur

belzébuth

tut tut tut
la cahutte
sur la butte
belzébuth
prend son luth
ou sa flûte

tut tut tut
belzébuth
persécute
mi sol ut
ça chahute
c'est son but

on l’bizute
mais la brute
belzébuth
bête en rut
a dit zut
à la pute

belzébuth
tout hirsute
sous sa hutte
a l’scorbut

on dit chut
plus de flute
ni de luth
c’est la chute
la culbute
plus de lutte
belzébuth
sans volute
parachute
azimut

elle s'avance à petits pas

elle s’avance à petits pas
levant vers moi son regard clair
impératif et fier
je ne sais ce qui me trouble le plus
sa rousseur ou ses yeux verts
quand elle s’étend lentement sur le lit
elle s’en empare sans lutte
se lovant d’une manière incroyablement ronde
prise de possession totale capture
je ne suis plus que son prisonnier fatal

dès qu’elle surgit
tout l’espace lui appartient
quand elle frotte sa tête contre la mienne
j’entends son cœur qui ne bat que pour moi

elle est la grâce et le mystère
jamais elle ne crie 
toujours ses yeux parlent pour elle

quand elle me quitte
d’une démarche souple et altière
le temps se fige
je ne respire plus 
je n'existe plus pour elle
je ne survis que pour son retour
m’occupant sans âme à des tâches incertaines
la vie n’est qu’une lutte entre désir et spleen

elle me rend plus aimable et souriant
telle est sa marque sur le sceau du temps
partout où elle vit hautaine
elle se déplace en reine
sans hâte
ma chatte

cercle infini de l'enfant

je suis
la fleur rougissante du soir
le vent sentimental et dense
le chevreuil campé dans le noir
la forêt plantureuse en transe

je suis
la pluie marbrée bue goulûment
le nuage arrondi en pleurs
le rêve du monde écumant
la voie de l’ange du bonheur

je suis
la vie sauteuse de barrières
le chuchotement indistinct
le mot où la pensée se terre
le silence brutal divin

je suis
la friction de dissentiment
la pierre sur quoi trébucher
le poisson limpide et gluant
le lac abyssal encerclé

je suis
le buisson de varech errant
la fourmi peureuse aux aguets
le papillon virevoltant
l’herbe consumée par l’été

je suis plus que chaque élément
je suis la chaîne reliant

la fleur butinée par le vent
le chevreuil dansant en forêt
la pluie des nuages pleurants
le rêve d’anges métissés
la vie qu’on voudrait chuchotée
le mot pensé plein de silence
le heurt de la pierre butée
le poisson du lac d’abondance
le varech cachant les fourmis
le papillon herbe de vie

comme un grand ensemble une roue
je suis l’enfant qui perçoit tout

trop tard

aucun mystère n’embaume ta vie close
tout est annoncé
sans bruit sans effet
forcé tu avances sur la route morose
où ne subsiste même pas
l’ombre opaque de tes pas

dans un dernier souffle qui passe
baudruche automate tu marches
sur la voie imposée sans arches
qui te conduit vers une impasse

comment croire à la valeur de ton âme
quand tout clame
que tu es de passage
tu crois sentir une émotion de partage
tu n’es que chimie mal programmée
illusion incontrôlée
tu crois renaître d’un passé glorieux
tu n’es qu’un fragment du souffle des cieux

sachant la fin écrite dès le commencement
quand viendra le moment immanquable
où poussière nue mot sans vocable
tu accompliras le dernier saut insignifiant

ce non-événement des milliards de fois répété
l’extinction sans éclat éternel
d’une infime étincelle
ne sera plus un mystère pour ton âme hébétée

ni pour tes avatars
mais il sera trop tard

nuage au paradis

je suis un nuage
nu je nage
dans l'azur pur
qui susurre
sans fin j'erre
en troposphère

haut sur terre
je délibère
des miasmes du temps
je souris gentiment
caressé par le vent
tant aimé
expirant sobrement
dans mes fils emmêlés
lissant
mes beaux cheveux
filandreux
gris cire et bleus

parfois je me fâche
et lâche
trois gouttes dures
sur la terre en murmures
de ma peau de pèche
j'empêche
le soleil
de couver mon ventre fécond
je me love en veille
chatte en rond

dans mes bras d'ouate propriétaires
j'abrite de multiples hôtes
un aréopage d'oiseaux migrateurs
en pause transocéanique
fatigués et pinailleurs
un éclair débutant qui ne sait pas tonner
des bruits prisonniers dont je garde la clé
un arc en ciel à libérer selon mon désir
et tous les souvenirs
en sépia des pays survolés
rien n'est plus peuplé qu'un nuage tentaculaire
rien n’est plus fugace

je vois tout de haut
le laid et le beau
je me détends
je suis gai
mouvant
je ris des hommes empêtrés
dans leur courte vie enflée
si vous saviez

ici tout est lent et long
pas de route pas de doute
tout est frais et surtout
teinté d’opacité

je vois tout de ma hutte
en fait chut
on ne vous l'a jamais dit
vous auriez trop d'émoi
osez lever la tête
et regardez moi
je suis le paradis

bonheur fuyant

je vois le bonheur fuyant
devant mon cœur sans un cri
fantomatique zombie
calme serpent ondulant

je le sens tout proche là
tapi dans l’ombre sans œuvre
onctueux comme une pieuvre
gros bouddha sibyllin las

il disparaît prestement
avant que je ne l’attrape
fin caméléon satrape
anguille dans le courant

l’impie cruel va tanguer
comme un essaim d’alouettes
dessinant la silhouette
d’une ombre secrète et gaie

ce pur bonheur à portée
se dérobe sous mes doigts
enfantant des tourments froids
infiniment immergés

comme le vent comme l’eau
comme cette chanson triste
pleurée en mer anarchiste
par mille fonds abyssaux


vieillir heureux

je voudrais vieillir heureux 
loin de la ville embrumée 
de l’océan de plastique 
du tic-tac de la folie 

je voudrais vieillir heureux 
d’un bonheur stoppant le temps 
sur mon visage impassible 
cachant un demi-sourire 

un tremolo d’harmonica 
glisserait des monts poussiéreux 
dans le travelling vaporeux 
d’un plan culte de cinéma 

sans lasso ni whisky 
sans bottes ni éperons
sans stetson à bords longs 
sans lucky strike ni country 

faux cowboy sur sa chaise à bascule 
j’aurai le regard perdu au loin 
indifférent à tout ce qui vient 
sur ma terrasse plombée de canicule 

peu à peu dans la moiteur du soir 
je sentirais poindre de mon âme 
tous les non-dits de ma vie 
et je me lèverai pour crier

souffrez sentiments refoulés 
voici la vérité indivisible 
brûlante comme un feu de gril 
écoutez tous la flamboyante réalité 

il ne reste rien ni les bruits 
ni la tristesse ni la soif animale 
ni même la beauté fatale 
il ne reste que les pleurs et les cris 

et le regret de l’homme imparfait 
avare de gestes et de mots 
qu’on dût se satisfaire d’être 
en trahissant ses idéaux 

il faudra embrasser les larges horizons 
humer la mer et les vagues 
entendre la musique du monde 
pour enfin se trouver à sa place 

il faudra le vent siffleur sur la terrasse 
et le murmure frotté de l’eau 
pour que retentissent ces mots 
je voudrais vieillir heureux 

et que cela se fasse

spectre vitreux des ombres

la nuit blanche des frondaisons
piège l’automne dans l’hiver
créant une demi-saison
riche de coloris amers

vaincu par la lenteur du temps
l’homme tente de respirer
cherchant son souffle hibernant
dans le soir recroquevillé

ainsi vont mon âme et mon coeur
dans ce faux rythme d’irraison
nomades cherchant un bonheur
qui ne dira jamais son nom

quel est ce sentiment qui presse
mon esprit peureux et troublé
quelle est cette lourde détresse
présente dans l’obscurité

ce n’est pas la terre sans nombre
ce n’est pas le manteau du froid
c’est le spectre vitreux des ombres
qui déjà recourbe ses doigts

(sélectionné au Prix Paroles Vives 2022 pour paraître dans le recueil "Murmures sous le Pont des Consuls")

porte du tableau

le temps souffle comme le vent
qui n’offre rien pour s’arrimer
transmuant ton cœur élimé
en nuée de limbes mouvants

dans les ténèbres somnambule
tu ne sais sur quel pied danser
balbutiant et balancé
tu sursautes comme une bulle

grenouille sur un nénuphar
luciole perdue dans la brume
fleur de désir et d’amertume
voilier louvoyant vers le phare

suivant sa vocation ténue
la mémoire de tes dix doigts
cherche le toucher de l’émoi 
et le frisson de l’âme nue

nuit et jour tu peins tu zigzagues
dans un serpentin de questions
un matin vient la solution
ravir les écumes des vagues

suivant ta foi ton idéal
tu fais éclore du tableau
une maison de terre et eau
dont tu es le héros final

étiré par ton repentir
un trait pareil à une eau-forte
sur la toile éclaire la porte
par où tu peux enfin partir

Hommage à Ou Tao-tseu (en japonais Godoshi) et Wang Fô

(sélectionné pour paraître dans L'Anthologie des meilleurs poèmes du Prix international Arthur Rimbaud 2022; Flamme de Bronze du Prix Flammes Vives 2022)


Conseil: une fois sur les poèmes, passez d'un texte à l'autre avec les flèches du clavier