décor fendu

sur un bleu frissonnant de murmures
figurines ridées penchées vers l’avant 
cheminant côte à côte lentement 
les vieilles femmes longent les murs

les reptiles s’interrogent et s’évadent
de la pierre rose mal taillée
les frondaisons épaulées
se dressent contre l’histoire
les caresses anciennes restent vives
qui peut les oublier

les lignes de fuite se croisent 
comme des destins
griffant des ronds incertains
de lumière d’ombre et d’ardoise

le décor s’est fendu
il faut tendre la main
vers l’invisible le nu le silence
la vie est un tamis sans pépites
ni archanges 
rien que des grésillements

creuset mêlant
des visages qu’on n’oublie pas d‘hier
des palmiers de nostalgie plein le cœur
la cloche égrenant un air dur et fier
le décalage en harmonie couleurs

animal maladroit
on saute de pierre en pierre 
jusqu’à l’horizon
alors qu’on se voudrait poisson
fluide et optimiste 
plongeant dans les cercles infinis
de la mousse à l’abîme
on susurre de tout petits mots
fragiles mal choisis
alors qu’on désire l’embrassade
les cris la folie
l’accolade

sur la table jaune et lisse
la dame du flamenco prend la pose
là-bas le bois attend d’être coupé
là-haut le vieux nid se défait en bribes
le temps ne s’arrête pas il se démultiplie 
en d’interminables pauses
à chaque moment son sujet

dans la cour le vieux banc rouillé
parle avec le vieux banc de pierre
des moments de marbre et de fer 
chacun se souvient du passé

chaque tache conte une histoire 
pleine d’orage et de tendresse
on sent l’amour et la tristesse
flotter sous la surface noire

sous celle de mon cœur aussi

espace creux

l’espace n’a plus les mêmes creux
il se dilue se déforme
le temps coule chaotique
dégoulinant d’une montre molle 
le soleil sourit satisfait 
comme un projecteur de cinéma
seuls les oiseaux chantent
profitant du vide absolu
laissé par nos âmes statues

l’angoisse plane 
on se croit malade
on n’est que pantin pitoyable
on ne rit plus c’est indécent
le monde entier oublie ses gestes tendres
transformé en robot appliqué

on s’en souviendra forcément
de ces gens croisés 
la tête basse sur le côté
craignant le miasme errant
de ces frôlements évités
de ces embrassades retenues
la mémoire mise à nue
le monde entier ne baise plus
pas prononcé pas pensé pas fait
le mot amour effacé de nos écrans

quand la vie reviendra
on ne saura plus quoi se dire
on sera niais et gras
le sourire béat

j’irai pleurer dans la rue bondée
cherchant un visage à caresser
mais on fuira le pestiféré
je crierai vous avez oublié la respiration
maintenant il est trop tard le mal est fait
ce n’est pas la maladie qui a gagné
ce n’est pas le virus qui vous a tué
vous individu société nation
c’est le manque d’ambition

six haïkus du vent et de la nuit

le vent dans les feuilles
les ombres dans son regard
la nuit m'émerveille

elle m'a souri
en éclairant mon esprit 
à travers la brume

cette eau qui frissonne 
je n'en aperçois que l'onde
sans rien en dessous

la vie est filandre
le coeur araignée aveugle
l'amour pris en toile

la mare est de glace
le givre et le gris s'installent
où sont les lueurs

se plaindre qu'il pleut
autant refuser de vivre
la vie goutte à goutte
Conseil: une fois sur les poèmes, passez d'un texte à l'autre avec les flèches du clavier