sept haïkus de naissance et d'amour

tu as la joue ronde
comme un rocher dans la nuit
tes pleurs sont la pluie

i grec de tes jambes
lianes de jungle et d'odeurs
infini plaisir

potelé des cuisses
ventre fixe et cru tendu
exquises promesses

le goût de ta peau
me révèle cent mille îles
peuplées de palmiers

tes yeux bleus de lune
interrogent gravement
mon coeur à la hune

de tes deux mains d'algues
de tes dix doigts de vents lourds
tu tisses ma vie

le monde murmure
il laisse pour toi et moi
ses ombres au mur

(citation au Prix Amitiés Littéraires du Val d’Orléans 2022)

mosquée bleue

entrée libre sans chaussures
dissimulées par la balustrade en bois
les femmes voilées prient au fond
un couple de touristes contemple son selfie
lui enturbanné elle cachée
ils sourient à leur image
d'autres lisent le coran
ou le routard je ne sais pas
ici comme ailleurs
les enfants jouent 
et pourtant

une lumière blanche jaillit
du vitrail meurtrière
forte implacable
personne ne la remarque

et si c'était allah
qui venait vous dire bonjour
ou vous sermonner
à genoux ingrats passants sur terre
repentez-vous de votre sourire niais
pleurez vos péchés et vos drames

mais personne ne l'écouterait
à cause des rites et des selfies
et le soir venu
plus de lumière
plus d'allah

l'homme seul face à son destin muré

fouiller la surface (1)

J’écris pour fouiller la surface indicible des choses et des gens, dans la sphère de l’invisible, au-delà des mots et des traces.

Mes mots ne sont pas des mots, ils sont le désir fou de rencontre entre âme et beauté, la volonté imparable de peindre l’hybride indiscernable de sentiments et d’émotions. 

Je ne sais pas crier, tout juste murmurer ma sincérité, mon désir. Immanents.

Je cherche à créer les rêveries d’un tableau abstrait, le foisonnement d’un paysage de recoins, la larme limpide d’un prélude en do majeur, les cieux aux nuages éclatés.

Je veux décrire les yeux transparents qui transpercent, la main douce poussant un soupir, la mort amère amer aimant, les rages de l’être à tous les âges, les folies de la vie torticolis.

J’écris pour me sauver de mes tourments, stopper leur cycle un moment : les voici suspendus en l’air par mes mots qui les empêchent de retomber ; d’un œil je les vois prêts à se ruer sur moi : alors je continue d’écrire en apnée, plongeant toujours plus loin dans un monde sans fin.

Quand j’écris, j’ai peur de mes mots microscopiques mais je continue, tant pis, porté par un espoir improbable, écharde de bois transocéanique, petit caillou à la fois dense et léger chassé par le vent, cerf-volant détaché de son fil qui tournoie en montant vers les nuages.

Mes mots forment une myriade de filandres fécondes, plus fortes que la matrice des heures, une kyrielle de notes frappant les cœurs des bouts du monde où je ne suis jamais allé.

J’écris pour lancer des passerelles entre les êtres, lignes de vie d’un bateau cherchant son cap. Je ne veux pas d’échelles ni de solutions, je veux des rêves et de la vibration.

Voile s’évanouissant à l’horizon, mon texte va m’abandonner; ayant gravé en moi un sillage profond, hors de ma vue, il vivra à jamais.

J’écrirai encore et encore jusqu’à ma mort et, ce jour-là, mes mots d’amour et d’or, je les serrerai contre moi, je les emporterai avec moi. Qui sait à qui ils pourront profiter…

Les nuages sauront-ils les aimer ?

(1er prix du concours Amavica - Mille poètes en Méditerranée - catégorie Prose poétique)

paysage giflant

je ne savais rien de ce paysage giflant
était-il beau ou laid
pourtant 
au premier coup d'œil 
je stoppais ma marche 
subjugué
les odeurs l'éclairage les froufrous
tout submergeait mes sens en éveil

ensorcelé par ce lieu 
j’y reviendrai souvent
mes promenades avaient un but 
désormais

bien plus tard 
j'apprendrai à le connaître
à reconnaître 
chaque détail
l'inclinaison des frondaisons
sensible aux saisons
les couleurs insolentes 
des lumières tamisées
les courbes fruitées 
des petites sentes
et plus je le connaitrai
plus je conforterai 
mon besoin de lui

mais il ne changera pas 
son impact sur moi
pas plus que je ne corrigerai 
mon regard sur lui
dès le début
il fit partie de moi

fulgurance de l’esthétique

décor fendu

sur un bleu frissonnant de murmures
figurines ridées penchées vers l’avant 
cheminant côte à côte lentement 
les vieilles femmes longent les murs

les reptiles s’interrogent et s’évadent
de la pierre rose mal taillée
les frondaisons épaulées
se dressent contre l’histoire
les caresses anciennes restent vives
qui peut les oublier

les lignes de fuite se croisent 
comme des destins
griffant des ronds incertains
de lumière d’ombre et d’ardoise

le décor s’est fendu
il faut tendre la main
vers l’invisible le nu le silence
la vie est un tamis sans pépites
ni archanges 
rien que des grésillements

creuset mêlant
des visages qu’on n’oublie pas d‘hier
des palmiers de nostalgie plein le cœur
la cloche égrenant un air dur et fier
le décalage en harmonie couleurs

animal maladroit
on saute de pierre en pierre 
jusqu’à l’horizon
alors qu’on se voudrait poisson
fluide et optimiste 
plongeant dans les cercles infinis
de la mousse à l’abîme
on susurre de tout petits mots
fragiles mal choisis
alors qu’on désire l’embrassade
les cris la folie
l’accolade

sur la table jaune et lisse
la dame du flamenco prend la pose
là-bas le bois attend d’être coupé
là-haut le vieux nid se défait en bribes
le temps ne s’arrête pas il se démultiplie 
en d’interminables pauses
à chaque moment son sujet

dans la cour le vieux banc rouillé
parle avec le vieux banc de pierre
des moments de marbre et de fer 
chacun se souvient du passé

chaque tache conte une histoire 
pleine d’orage et de tendresse
on sent l’amour et la tristesse
flotter sous la surface noire

sous celle de mon cœur aussi

espace creux

l’espace n’a plus les mêmes creux
il se dilue se déforme
le temps coule chaotique
dégoulinant d’une montre molle 
le soleil sourit satisfait 
comme un projecteur de cinéma
seuls les oiseaux chantent
profitant du vide absolu
laissé par nos âmes statues

l’angoisse plane 
on se croit malade
on n’est que pantin pitoyable
on ne rit plus c’est indécent
le monde entier oublie ses gestes tendres
transformé en robot appliqué

on s’en souviendra forcément
de ces gens croisés 
la tête basse sur le côté
craignant le miasme errant
de ces frôlements évités
de ces embrassades retenues
la mémoire mise à nue
le monde entier ne baise plus
pas prononcé pas pensé pas fait
le mot amour effacé de nos écrans

quand la vie reviendra
on ne saura plus quoi se dire
on sera niais et gras
le sourire béat

j’irai pleurer dans la rue bondée
cherchant un visage à caresser
mais on fuira le pestiféré
je crierai vous avez oublié la respiration
maintenant il est trop tard le mal est fait
ce n’est pas la maladie qui a gagné
ce n’est pas le virus qui vous a tué
vous individu société nation
c’est le manque d’ambition

six haïkus du vent et de la nuit

le vent dans les feuilles
les ombres dans son regard
la nuit m'émerveille

elle m'a souri
en éclairant mon esprit 
à travers la brume

cette eau qui frissonne 
je n'en aperçois que l'onde
sans rien en dessous

la vie est filandre
le coeur araignée aveugle
l'amour pris en toile

la mare est de glace
le givre et le gris s'installent
où sont les lueurs

se plaindre qu'il pleut
autant refuser de vivre
la vie goutte à goutte
Conseil: une fois sur les poèmes, passez d'un texte à l'autre avec les flèches du clavier