jour de mon enterrement

le jour de mon enterrement
dans l'église froide et blanche grise
ils seront tous serrés comme des harengs
les hommes auront posé leur chapeau
les femmes seront endimanchées dans leur manteau
les enfants agités apeurés tristes

les gens
j'ai envie qu'ils soient là en passant
je veux qu'on pleure et qu'on m'oublie
tous ceux qui savent m’envieront là où je suis
il suffira de rester longtemps l’air absent
pour prétendre participer

le jour de mon enterrement
on se frottera dans les rangs
pour avoir chaud
les yeux levés vers la croix là-haut
on se taira de longs moments
privé de discours le curé contemplera la foule
hochant la tête il se perdra dans ses pensées
en fait il pense à son déjeuner

je veux du silence et puis la fête
musique et silence
c’est la même chose
je veux que les gens se regardent dans les yeux
et se tiennent par la main
l’air heureux
pour une fois

le jour de mon enterrement
le veux du soleil dans les vitraux or et vert
il faudra que ce soit un matin d'hiver
où le froid gèlera les pensées
dehors aussi les fleurs seront gelées

le jour de mon enterrement
je veux de belles orgues riant
qui chantent d’allégresse Alleluia
Sanctificat et puis l’Ave Maria
résonnera sous les vieilles pierres
auréolées de prière
il faudra que tout le monde prie
communier sera obligatoire
on fera la queue pour l’hostie propitiatoire
après vous je vous en prie
sinon il faudra doubler son obole
à la quête paroissiale qu’attend le curé
grâce à moi personne ne sera excommunié

le jour de mon enterrement
dans la lumière froide et blanche grise
on ne saura même pas qui est mort
les gens seront entrés dans l'église
par hasard à cause du froid dehors
à cause de la lumière et de la musique dedans
ils me connaîtront à peine
ils parleront d'une ombre d’antan
et d’une voix basse qui traine
ils évoqueront les morts et les vivants

le jour de mon enterrement
heureusement
dans l’église muette qui serre ses rangs
dans les travées remplies
comme des bancs de chauve-souris
dans les regards à peine voilés
de pèlerins inconnus désoeuvrés
je ne verrai personne que j’aime
parce que de tous ceux que j'aime
j’aurai été le dernier à mourir

s'il vous plaît
mon Dieu
je vous en supplie

je veux tout

je veux tout
ensemble 
à la fois
l’amour et la joie
la musique et les mots
le nombre et le silence

je veux le présent et le passé les nuits et les jours
le futur je m’en fous il viendra toujours

je veux des rires fous des tableaux couverts de nuages
pour m’envoler dans leurs rêves bleus sans âge

je veux qu’on m’aime et qu’on me déteste
comme si j’étais le centre du monde
au moins un soir une fois je me déleste
je le promets je me tiendrais coi dans la lumière ronde

sur la scène sous les feux de la rampe dorée
tous les regards tournés vers mon cri
me salueraient les yeux mouillés
surtout les filles qui savent qui je suis
surtout celles qui m’ont regardé la tête penchée
avant de partir sans un seul regret

et puis je m’en irai dans le noir de l’oubli
sans me retourner à petits pas
le dos voûté dans ses plis
espérant les rappels qui ne viendront pas

j'irai enfouir mon cœur en berne
comme un ours qui hiberne

je veux me souvenir du passé qui me fuit
je n’ai pas toujours été ce que je suis

j’aimerai tant redevenir l'enfant naïf
souriant sur les photos noir et blanc
être à nouveau cet ange blond
au moins un jour une nuit
le cœur lavé d'un regard pur
quand la vie était encore un conte de fées
rempli d’elfes gentils de sourires larges
de soupes fumantes et de babils

mais c’était avant que tout ne soit sali
d’une manière incompréhensible
la nuit se tapissait là tout près
et blessa les gens que j’aimais
je ne saurai jamais pourquoi
je veux pouvoir pardonner 
sans oublier
mais c’est dur 
mon âme a rouillé
la porte de mon cœur s'est coincée

alors 
en attendant
je veux des petits enfants 
qui courent en riant dans la plaine
habillant l’espace et le temps 
de leurs pirouettes incertaines
je les verrai grandir comme si j’étais immortel
je veux tous mes amis flottant en ribambelle

je veux tout
la chaleur et le frisson
la tristesse et le pardon
je veux vivre chaque minute pleine de paix et de fureur
je veux tout oublier et me souvenir de tout 
du bonheur
jusqu’au bout

tourbillon

elle tourbillonne sans connaître sa force
moi je n’ai que des mots
elle est le tronc moi l’écorce
incroyable elle entre sans permis dans mon cœur
tandis que je gratte le sien coucou bonheur
elle est la vie qui bouge et bondit
avec elle tout est beauté
elle est la compassion née
chez elle est tout est vrai
elle souffre avec ceux qui crient
elle sait pleurer comme un gouffre
et moi je me terre de peur de sombrer
inassouvi le cœur buté
et pourtant pourtant
si j’avais le temps
je lui dirais les mots ne sont pas que des mots
ils sont aussi un bout d’âme brute 
un morceau d’éternité
oui j’oserais dire l’infini face à la vie
je lui dirais
l’amour est une forteresse contre la mort
que je bâtis autour de toi mauvais maçon
ivre de mots remparts leviers pinceaux
mon tourbillon ma vérité
calligraphie de mes sentiments agités
ma respiration petit grain de blé
un poisson bouche ouverte vers l’immensité
ma réponse une pause un bras
un paysage qu’elle seule reconnaîtra
elle saura que j’en suis l’auteur
riant de toutes mes erreurs
des feuilles de hêtre sur un tronc de platane
elle me dira tu peins comme un âne
et elle m’embrassera attendrie
rêvant devant ce soleil éternel
que moi seul aura su créer pour elle
la tête sur mon épaule 
alanguie

guirlandes éclatées mes rêves d'elle

en guirlandes éclatées
en soleils nettoyés
en pas de danse sur des cristaux argentés
fragile autoroute de quatre heures du matin
quand les brouillards dessinent l’horizon
sont mes rêves mes rêves

en nostalgie confuse
en air de blues et d’alcools
sur des nuits trop longues
en larmes fraîches quand vient la rosée
en reflets mouillés de belles vitrines
gardant les avenues désertes
sont mes rêves d’elle

en tristesse repeinte et reniée
en éventail japonais
en chemins sillonnés
en air d’orifice aux étoiles
en cocasseries jalouses
en impuissances vermeilles
sur des vagues cassées
sont mes rêves mes rêves

en colliers picturaux
d’audace aux sommets prestigieux
en guitare désaccordée
en chiens nus pitoyables
comme les rames du dernier métro
en rimes balbutiantes
sont mes rêves d’elle

en véronique d’Espagne
dentelle rougissante
en noir comme le noir de ses yeux
où je me noie
en aiguilles du temps désaxées
brodant d'interminables ouvrages
sont mes rêves mes rêves

en noir comme ses cheveux
noir mêlé du rose que je crée
en hallucinations souveraines
en boucliers de caprices
brise libre par-dessus les toits
voguants vers l’infini à petits pas
sont mes rêves de toi

agrippe-toi

agrippe-toi à moi je suis ta montagne
plonge en moi je suis ton océan
regarde-moi je suis ta lumière
respire-moi je suis ton souffle
suis-moi je suis ton chemin
habite-moi je suis ton île
vis-moi je suis ton âme
aime-moi je suis là
je suis l'amour

sons

d'abord un seul froufrou 
la source frétillante 
rebonds joyeux sur les rochers ronds 
notes soyeuses de musique légère 
longtemps seules dans l'espace-temps

puis les sons de la vie 
l'appel d'un oiseau 
simple et direct 
sans fioritures 
pas de temps à perdre 
dit l'animal

puis un grondement d'orage 
qui fait le fier 
pas bien méchant 

et toujours en fond de tableau 
la brise irisée qui respire doucement 

hélas même ici l'avion 
invisible et lointain 
ronchonne empereur hautain 
ineffable briseur d'unisson

bruit familier

L’autre jour, perdu dans des tristesses existentialistes abyssales, même pas bourré, je me posais cette question fondamentale : qu’est-ce qui prouve, vraiment, qu’on existe ? Laissez tomber les banalités, s’il vous plait, l’amour qui nait, le regard d’un enfant, la tige qui bourgeonne au printemps, non merci, je vous parle sérieusement, on n’est pas dans un roman de gare ici. Même les trucs genre c’est pas le chemin qui est difficile, c’est difficile qui est le chemin, laissez tomber aussi, ça m’énerve, c’est rien qu’une explication des riches pour que les opprimés se contentent de trimer sans rechigner.
Donc, je sentais déjà poindre l’horrible et définitive réponse du grand vide, du néant tout noir, quand, soudain, mon oreille fut attirée par un bruit. Et, avant même de reconnaître la source de ce dérangement, j’avais la réponse à ma question. Car ce bourdonnement à la fois habituel, régulier et heurté avait quelque chose de rassurant, calfeutré, cocoonant.
Il était beaucoup plus qu’un ronronnement, il gonflait en un symbole rempli de sens et de mémoire. Il ressemblait, en plus doux, en plus familier, au taca-tacata-tacata du train qui roule et vous emporte.
Il vous parle au cœur et au corps, il vous enveloppe sans vous déranger. C’est un bruit à éclipses, parfois il s’interrompt et alors, angoissé, on se demande s’il va reprendre. Il bat selon plusieurs rythmes comme une symphonie, passant du roulement des cuivres au chuintement des violons. On sait bien que ce barouf domestique, horodaté, aura une fin et quand il s’arrête, dans un crescendo presque angoissant, on pousse un soupir, c’est terminé mais pour un moment seulement, une tâche a été accomplie, un épisode du feuilleton, une étape a été franchie dans la vie mais une autre viendra, on le sait, qui prendra le relais et alors tout continuera, rien ne s’arrête vraiment, tout se suit, tout s'essuie.
C’est un bruit à épisodes. Il y a des jours avec et des jours sans et ces jours-là on sent comme un vide dans son âme
Grâce à ce ramdam feutré, notre vie avance, des pleurs sont lavés, on se refait une virginité, on peut provisoirement tirer un trait sur le passé et croire qu’on a encore de l’avenir puisqu’avec ce bruit on nous prépare quelque chose pour l’affronter.
C’est un boucan léger qui remonte à l’enfance, bien sûr, il me fait penser à ma mère, il signifiait que pour une fois elle s’occupait de moi, alors que pour le reste elle me confiait à des bonnes espagnoles qui passaient leur temps à m’obliger à manger de la soupe à la tomate, la soupe rouge, la soupe de sang, que je détestais. Les autres bruits de l’enfance, c’était des cris qui cassaient les oreilles et le cœur.  L’aspirateur, par exemple, quelle horreur ! Je le voyais comme un ogre prêt à dévorer mes jouets, un espion fouillant dans tous mes recoins. La chasse à la saleté n’était qu’un prétexte à violer mon intimité.
Ce bruit-là seul dont je parle est à la fois présent et rassurant, il génère des odeurs de douceur et de tendresse, il crée de la chaleur et des caresses, il vous fait une place dans la vie, non seulement on existe mais, quelque part, quelqu’un se préoccupe de vous et c’est çà la vraie réponse à ma question.
Vous avez deviné, n’est-ce pas ? C’est le bruit du lave-linge.
Conseil: une fois sur les poèmes, passez d'un texte à l'autre avec les flèches du clavier