brise écaillles et ribambelles

la brise frise la mer qui se meurt
sur les rocs noirs habillés d’écailles
les algues longues et vertes s’affalent
couvrant des ribambelles de sable gris

brins en tas grains mouillés qui s’étalent
dessinant des taches brunes et ocres
la pluie luit sur la vase rase
vide au premier coup d'oeil
si peuplée quand la mer l'abandonne

ce pays d’eau de bas en haut
baigne de lames désarmées
mes larmes d’enfance dense
le regret croit quand le souvenir gît
l’avenir fuit devant la nostalgie

vieux amis

immuables rochers battus par la mer des ans
vaillants rocs ridés ils se taisent souvent
indifférents au vent chahuteur
l’œil bienveillant comme une invitation
ils partagent l’implicite sans évocation

chacun sa voie et toujours ce même plaisir
se retrouver sans se chercher se quitter sans se perdre
ils sont plus forts que l’amour plus indulgents
ici on pardonne volontiers ou alors on oublie

les vieux amis n’ont plus rien à se prouver
mais ils peuvent encore s’étonner
comme surprennent parfois
a lumière sur un nuage
une mélodie en la mineur
la dentelle du brouillard nappant les champs
le sourire volé d’une rencontre fugitive
un cri de joie déchirant l'air

un cœur serein est à l’affût
tellement prêt à écouter
que plus rien n’est à inventer
des ajustements tout au plus
quelques détours à empocher

jamais de silences plus chauds
battements du cœur plus profonds
doux moments intimes plus longs
à boire et chanter hisser haut

on peut se battre à perdre haleine
et tout oublier dans un rire
quand vient le hoquet fuit la haine
on se dit tout dans un sourire

ne mourant pas comme l'amour
les vieux amis seront un jour
dans l'infini beauté des choses
là où les anges font la pose

quelque part dans l’azur bleuté
flotte le jardin des amis
c’est bien mieux que le paradis
et surtout bien moins fréquenté

temps pluriels

le temps qui passe
s’est envolé
il a volé
derrière la glace
nos lourds regrets

le temps qui pleure
souffre et remplit
de nostalgie
nos longues heures
d’analgésie

le temps peureux
veut effacer
le fil tressé
du temple heureux
de nos pensées

le temps agite
les troubles eaux
où nos bateaux
prennent la gîte
un peu trop tôt

le temps s’excuse
d’avoir si vite
tué nos mythes
et il s’amuse
de nos vieux rites

le temps se fige
le temps se givre
le temps est ivre
le temps corrige
le temps qui vire

le temps se lève
de la révolte
la virevolte
et toi belle ève
débranche les volts

ô temps suspends-
toi, non pends-toi
flagelle-toi
meurs sale temps
et oublie-moi

indices

de sa fenêtre de train il regarde fuir
sous les nuages immobiles
les couleurs d’automne et les lignes
prairies et collines mêlées
arbres violets et toits rouges
devant lui tout est courbe
en bas tout s’en va
en haut rien ne bouge

il voit les ombres rases du soir
s'étendre comme une pieuvre
la pique soudaine d’un clocher
recevoir des offrandes muettes
il voit les frondaisons agitées des bosquets
lieux secrets d'amours inavouées
il imagine toutes ces vies violées
par son regard TGV
flèche éclair et magique
qui transperce des plans de vie successifs

il voit tout voyeur insatiable
il ne voit rien
à défaut de certitudes il s’accroche aux traces
dans les champs les arabesques des tracteurs
dans le ciel le V des migrateurs
et le coton blanc des avions
et puis ici et là dans un hasard organisé
la fumée qui fuit des cheminées
le pylône crucifié des fils électriques
les rambardes comme des rails
les rangées de serres
les filets déployés des arbres fruitiers
l’horrible usine et la vieille ferme
les silos cathédrales
et partout ces barrières infinies
il ne voit que des taches et de l’eau
des morceaux de vie des bribes

pas le temps de voir les hommes
trop petits à cette vitesse
on ne voit que leurs indices
et les animaux qui s’accrochent à la terre

et il pense alors aux indices de sa vie

je voudrais savoir

Je voudrais savoir
pourquoi les chemises s’abiment toujours à la pointe du col en premier
Où sont mes clés et ma deuxième chaussette
Quelle est la distance moyenne entre deux gouttes de pluie
Pourquoi les lapins et les lièvres ne forniquent pas ensemble
Comme les cochons et les sangliers corses
Je voudrais savoir ce qu’il y a après la mort
Par quelles vibrations télépathiques cet inconnu m’est d’emblée antipathique
Pourquoi cette fille normale m’éblouit
Deux jambes deux bras une bouche un nez deux yeux
Peut-être cette façon de pencher lègèrement la tête
Je voudrais savoir d’où viennent ces mots que j’écris
Et ces pensées terribles ou tristes
Pourquoi en général on aime ses enfants
Et pas ses parents
Pourquoi mon téléphone est encore tombé par terre
Je voudrais savoir comment on se débrouille pour
Assembler des pavés monter un mur couder des tuyaux
Je voudrais savoir pourquoi je ne parle pas toutes les langues
Alors que d’autres oui
Pourquoi je ne joue pas du piano
Alors que d’autres oui
Si la taille de mon sexe est conforme aux standards
Au repos et en érection
Je voudrais savoir
Si je serai le dernier à mourir de ceux que j’aime
Je voudrais savoir qui a dessiné les panneaux de signalisation
Le parquet de Versailles
La maison que j’aime
Quels esprits les ont inspirés
- Qu’ils viennent me visiter ! –
Je voudrais savoir les tailles au micron près
De l’amour du bonheur de la tristesse de l’ennui du courage
Mais aussi de la poésie de l’imagination du sourire
Je voudrais savoir quel genre de fille j’étais dans une vie antérieure
Et quel animal je serai dans ma vie future
Une salamandre un frelon un lièvre
- Une fourmi sûrement pas faut pas rêver ! –
Je voudrais savoir dessiner les rêves et les sentiments
Et l’amour
Je voudrais savoir qui je suis

la mer sans la mer

ta vie s’étale marée sale
marin pêcheur ou solitaire
tout est flou dans ton passé mou
y’a comme une brume cachée
dans ce crachin qui cache tout
c’est un désastre et tu t’en fous

un jour la mer en aura marre
de tes nostalgies aphasiques
et des hommes au regard triste
coriace elle se vengera
des taiseux des fumeurs de pipe

ce jour-là elle s’en ira
sans rien dire sans prévenir
elle oubliera de revenir
elle partira sans regrets
avec ses flots bleus sous le bras

la mer ira droit loin devant
si loin à perte de vue d'eau
elle ira digne et sans bateaux
rejoindre les grands dauphins blancs

fière et ivre de sa vie verte
de mousse et d’écume couverte
elle ridera seule l’onde
libre enfin de choisir sa houle
à sa guise au gré des quadrants

elle emportera les sirènes
et la musique du grand vent
les algues longues des hauts fonds
les bouées les cris des baleines

et nous les morts les faux marins
humant la fin de l'air salin
les yeux fixés sur la lisière
de la mer y’aura plus la mer

y'aura plus que des coques vides
proue poupe inutiles hybrides
posées au sol comme des tombes
comme des ombres et des bombes

voilà l’horizon s'est figé
un plan fixe image arrêtée
rouge sur rouge vert sur vert
rien ne bouge non tout est clair

mais tout a disparu là-bas
tous les bateaux tous les mâts
tandis que sur terre atterrés
la foul' se met à murmurer

la mer sans la mer c’est comm’ si
l’amour avait quitté la vie
plus rien n'aura jamais de goût
dans ce paysage de fous

vibrations

j’aime le soleil après la pluie
lorsque le silence dans l’air luit
que d’un trottoir las délavé fume
l’éclat vaporisé du bitume

la ville virginale frémit
les longs arbres sorciers se délient
triste une larme d’éternité
purifie les hommes statufiés

au loin j’entends le grand gong vibrant
jour nuit ciel la terre est frottement
la lumière est blanche la mort fuit
seul le soleil règne après la pluie
Conseil: une fois sur les poèmes, passez d'un texte à l'autre avec les flèches du clavier