souviens toi de l'île

souviens toi de l'île 
aux chevaliers guignettes
où les sternes sont naines
ou bien pierregarin
les hérons toujours cendrés
les mouettes rieuses
ou mélanocéphales
les gravelots toujours petits 
et grises les bergeronnettes
et noires les guifettes

bords de loire

les feuilles volètent 
comme des papillons
la troupe de corbeaux attaque 
le busard importun
la loutre plonge 
chassée par un bruit
là bas le cygne hiératique
les hérons tendent le cou
le soleil crée 
des trouées blanches 
sur l'eau ridée
et des rebonds
sur la berge immuable fière
sauvage et millénaire

pieds des stalles

Je regarde mon doigt de pied gauche
Et je me dis : un pied çà a l’air de quoi ?
Ce genre de trapèze improbable et plat
Ce bout du bout du corps
Qui nous tient debout
Par le bas
On dit : tu es bête comme tes pieds
Mais qui a dit que mes pieds étaient bêtes ?
Bien alignés et rangés par taille décroissante
Moi je leur trouve plutôt l’air ordonné
A mes petits doigts de pied
Ils bougent quand j’en ai envie
Mais si jamais l’envie me prend
De lever le troisième en partant de la gauche
- qui est aussi le troisième en partant de la droite,
et pourtant j’en ai cinq à chaque pied –
Sans faire bouger ses confrères
Je risque d’y passer de longues nuits
Tout çà pour vous dire qu’il vaut mieux
Compter sur ses dix bons doigts de pieds
Pour marcher et pour botter les fesses
De ceux qui vous marchent sur les pieds
Remarquez, si vous n’aviez plus de doigts de pieds
On ne pourrait pas vous marcher dessus
C’est chaud, c’est sûr comme une chaussure
Alors gaffe, un conseil :
Tous les soirs, avant de vous coucher
Comptez-les
Vos petits doigts de pieds
On ne sait jamais !

je meurs tu pleures

Je meurs
Tu meurs
Je t’aime
Tu pleures
Je vogue
Tu vogues
Ils voguent
Où çà
M’en fous
Quèqu’part
Tu viens
Je pars
Tu m’aimes
Je pleure
Je dis
Tu dis
Tout çà
Ils disent
N’impor-
Te quoi
Tu ris
Je nage
Tu nages
Vers moi
Ou çà
Plus loin
Pourquoi
Parc’que
C’est beau
C’est bon
Et plus
Que ça
Encore
Pour toi
Je vis
Tu vis
Sans moi
Je souffre
Tu souffres
S’en foutent
Pourquoi
Parc’que
Ils ont
Raison
Les cons
Je viens
Tu veux
Je veux
Te voir
T’aimer
Plus fort
M’aimer
Dis-tu
Et puis
Je rêve
Tu dors
Petite
Et douce
Je souffle
Sur tout
Sur ça
Sans ça
Tu voles
Plus loin
Sans moi
Tu joues
Je perds
Toujours
Pourquoi
Ta peau
Ton corps
Adieu
Rideau
Mais non
Tu rêves
De moi
Peut-être
Encore

offerte ta bouche douce

offerte
ta bouche douce
pour moi qui pleure

tes jambes longues
ton ventre rond
offerts

douce ma belle tu souris
et l’odeur de toi
rose close ton parfum

à genoux je caresse
ta peau offerte
tu m’enveloppes

ton souffle chaud sur moi
s’envole
comme toi et moi

couple qui lit

8 heures d’un matin gris
Derrière la vitre embuée d'un MacDo, un couple prend son petit-déjeuner sous la lumière néon.
Assis l’un en face de l’autre, chacun la tête penchée, l’homme est plongé dans un hebdo télé pas cher, la femme lit attentivement Le Parisien.
D’habitude, c’est l’inverse, la femme scrute les programmes télé et l’homme les pages PMU.
Il est resté quelques secondes dehors à les regarder.
Ils n’ont pas levé la tête.
Ils ne se parlent pas, ils lisent, chacun la main posée distraitement sur sa tasse de café.
Tiens, c’est drôle, une main gauche et une main droite.
Quelques centimètres seulement séparent ces deux mains sur la table.
Il suffirait d’un rien, un geste instinctif, une envie de se décrisper, pour qu’elles se touchent.
Alors, ils se regarderaient sans doute une seconde, peut-être même en s’excusant.
Puis ils reprendraient leur lecture attentive.

soir pur et blême

j’aimerais que tu m’aimes
quand le soir pur et blême
peint tes yeux de mystère
la nuit où sans fin j’erre

l’ombre de la nuit mêle
au cœur de son sommeil
nos corps nus enfiévrés
plus rien n’est faux ni vrai

j’aimerais que tu aimes
cette nuit pure et blême
ou nos coeurs emmêlées
tentent de s'arrimer

l’ombre de l’ombre rit
qui de la nuit surgit
l’aube nous chérira
mon amour mon aura

quand le ciel blanchira
quand tu t’évanouiras
je voudrais que tu m’aimes
dans le nouveau jour blême

gitane et paysanne

Jeune fille d’autre part au creux de mon âme
Gitane et paysanne en robe bariolée
Tu me fais vibrer d’être pauvre mélomane
Je goûte en harmonies violentes ta beauté
Et je dérive en toi comme un torrent sans larmes

Un épi d’arc-en-ciel a transpercé ma vie
En forme dérivée de plaisir inconnu
Envol de colombes d’un matin qui sourit
Au jour de renaissance où je t’ai reconnu
Mon cœur horloge disparate est reparti

Le temps mauvais qui passe est un fond de peinture
Impressionniste lignes de points sans arêtes
Comme ces photos jaunies de vieilles voitures
Où le sourire de jeunes filles nu-tête
Semble façonner l’harmonie de la nature

Tout doux mon silence d’un creux de nostalgie
Je rêvais un peu trop et ma voix te parlait
Des mots nouveaux d’autres mots verbes de vie
Que je donnais à prendre comme tu cueillais
En te penchant quelques fleurs de rose et d’ortie

Dans le ciel entrouvert une larme a gelé
Sur ton regard qui interroge tendre et noir
Tes yeux flambée d’un soir d’automne dénudés
Comme au jour débutant au j’ai levé ton voile
Mon ange recommencé mer où j’ai plongé

J'ai marché dans tes pas voie soufflée sur le sable
De tes mains tendues l'eau recueillie s'échappait
Je me suis emmitouflé dans tes cheveux d'algue
Tandis que paré de l'air du temps des marées
Le cri des mouettes sculptait un ciel à la plage

Quatre cailloux d’agate et quelques faux cristaux
Que tu ramassais nous faisaient un long tapis
Éphémère l’eau les recouvrait aussitôt
Mouillés et brillants comme après une lourde pluie
Le sourire grave tu m’en faisais cadeau

Rares balbutiements ces rimes au passé
C’était un hiver froid quelque part en Bretagne
Des pédalos rangés y attendaient l’été
Souffrant tristement dans un coin de paysage
Et Bach était Mozart ou Strauss et je t’aimais

La vie de tes yeux est un air de violon
Au rythme lent d’un concerto que tu aimais
Sa plainte donnait à l’aube son émotion
Recréant le matin silence entrecoupé
D’admirables pauses instants où nous rêvions

J’ai pour nom de baptême ta voix ton sourire
Tes mots m’emportent en créant le monde où tu ris
Je pourrai sans regrets voir le passé jaunir
Ou l’amour se noircir car je sais que la vie
Effacera mon âme hormis ton souvenir

plonge en moi

agrippe-toi à moi je suis ta montagne

plonge en moi je suis ton océan
regarde-moi je suis ta lumière
respire-moi je suis ton souffle
suis-moi je suis ton sentier
habite-moi je suis ton île
vis-moi je suis ton âme
aime-moi je suis là
je suis l'amour

afghane

muette et souriante
ses yeux me parlèrent
ils me dirent
n’aies pas peur tu peux me regarder
et elle souleva légèrement son voile
la main ouverte comme une offrande

je suis la femme et l’argent
je suis la richesse et la pauvreté
je suis l'amour et son objet
je suis l’extérieur et le fond de toute chose

aux portes du désert de thar
je suis la jeune mariée
qu’on dit soumise et qui sait son pouvoir
je ne parle pas
mais tous les désirs du monde sont en moi

mon mari est d’accord
tu peux me mettre sur ta photo
mais pas lui
il est fier de me montrer mais c'est un homme
un descendant de guerriers
personne ne peut lui voler son image

il ne se rend pas compte
j’ai plusieurs kilos sur le dos
c’est lourd
admire je te prie
tous ces bijoux m’appartiennent 
et les broderies
c’est moi qui les ai créées
toute notre fortune la voici
c’est moi qui la porte
chez nous les maisons ne ferment pas à clé
il ne faut rien y laisser quand on sort
alors on emmène tout sur soi
je suis le coffre-fort et la beauté

et elle me supplia
s''il te plaît oublie les bijoux un instant
plonge au fond de mes yeux
tu y verras des choses que je ne dirai jamais
regarde bien

puis elle s'en alla
à quelques pas derrière son homme

sous l’auspice des rêves

sous l’auspice des rêves une image s’est figée
soutenue par l’imberbe inconscience
étincelante et réelle entrechoquée
d’un baiser léger porcelaine et faïence

elle a fleuri comme une aube en provence
couleurs d’explosion d’amour inviolé
jamais ne fut plus ingénieuse essence
quand l’aurore absolue l'a balayé

erreur 404 rap du zap

Dès l'aub’, j'me dop’ radio, nouveau, tout beau, tout faux. Dodo.
Métro, je sors mon wap,  l’Nasqaq rame à Bourso. Bobo.
Bureau, je tchatt’, merveille, mais v’la qu’j'm'emmêle les mails. Mireille.
A la cafét, 'amphét, mais j'cal’ sur internet. Pas net.
Alors, râleur, j'repars dar’-dare à mon écran. A cran.
Je hache H-T-T-P, j'déroul’ mes U-R-L. Colère.
Pause, Echap, surfe à donf les maxi sites de gonz. En bronze.
J'divague hyperrelax dans le divin DivX. XX.
L'metamoteur s'emballe, embrouill’ ses fils de news. Ca m'rouille.
Hypno, gogol pas cool les hits de mon google. La gueule.
Je péte mon G-P-S, je fum' l'U-M-T-S. Détresse.
Je frapp' sur le clavier, j'essaim' mes S-M-S. OS.
Et sur les dix pt'it’ touch’, vl'a que ça touss' chez Bluetooth. Pas touche.
Je zipp mes fil’, je jazz’, trop d’meg, j'suis overflow. A l'eau.
Je tress' des spams, je hacke, wifi, je bittorrente. L’étreinte.
Y’a trop de blogs sur l'web, y’a trop de RSS. Qu’ça cesse.
L’amour l’amour c’est quand c’est où Je rentr’ chez moi. L’émoi
J’mendors sur mes pixels et là ça s’brouille d’enfer. Colère.

(Refrain)
Je rapp’, je zapp’, je wapp’, tu vois, en v'la d'l'info. Tout faux
Tu sais Mireille, j'sais plus quoi fair’ sur Planèt’ Terre. De l’air
Erreur 404, l'âm’ que vous pensiez trouver
N’existe plus ici ou bien s’est déplacée

dernier rêve

vous prendrez bien un dernier rêve
allez
pour le doute
le mirage sans âge
un rêve sans faux col
sans larmes ni détour
ca fait pas de mal

je vous le sers comment
avec ou sans poésie

spécialité de la maison
le cocktail de mots doux amer
mots courts mots forts mots rauques
ils flottent ils coulissent
ils s’entrechoquent
ils renvoient bien la lumière

surtout pas de mots frivoles ni barbares
sinon le rêve vire aigre
et en plus il peut mousser

des mots riches aussi pourquoi pas
mais pas trop
un point si vous voulez
un point c'est tout
c’est pas obligatoire

versez le tout dans une belle âme
doucement vieillie à peine ridée
qui en a vu des rêves
et vous secouez vigoureusement

ah oui j’oubliais
beaucoup d’amour
il donne du goût
un zeste de rimes nonchalantes
à distribuer selon l’envie

on peut aussi verser quelques images
mais un peu floues surtout
trop nettes elles éblouissent

et puis selon les cas
une ou deux gouttes d’humour lisse

le tout servi bien frappé
la fraîcheur c’est important
elle se fait moins qu’avant
quel dommage

tiens
je vous accompagne
prendre un rêve à deux
c’est mieux
on sera moins vite seul

(Paris février 2005)

port launay

Là-haut le morne retient les nuages
Sur un rocher à l'entrée de la baie
Une croix dit peut-être
Qu'ici des hommes ont péri

Le ciel est aussi chargé
Que le silence est léger
Une houle du nord pas méchante
Vient mourir sur la plage

L'anse est profonde et calme vivante
Sur le rivage
La barque de pêcheur blanche et jaune
Se balance
Immuablement

Une tortue sort sa tête de l'eau
Comme un périscope
Elle regarde si tout va bien
Puis elle disparaît

Un banc de poissons argentés
Poursuivi par un invisible requin
Joue à saute-mouton sur les vagues

Des chauves-souris grosses comme des corbeaux
Piaillent dans les grottes granitiques
D'autres traversent la baie
Battant l'air d'un air abattu
Avec leurs drôles d'ailes à l'envers

De temps en temps
D'un bruit sec
Une noix tombe d'un cocotier

Sur la plage
L'ombre pieuvre des takamakas
Protège le sable

Là-haut le morne retient les nuages

Seychelles janvier 2005

anse d'argent

rochers récifs l'océan
rides du sable et de l'eau
figées ici mouvantes là-bas 
ici tous les verts là-bas tous les bleus
au loin la goélette passe
langoureusement
les petits oiseaux blancs
saluent la mer d'une aile de velours
un si doux effleurement
j'aimerais tant être cette eau vivante
caressée par le souffle d'un instant

Seychelles janvier 2005

genou dans la nuit

extérieur nuit 
ambiance plage tropicale 
d'abord le son roque des rouleaux 
grondement qui enfle et qui dure 

premier plan 
un genou de femme 
sans doute allongée les jambes repliées 

deuxième plan 
l'écume de vagues longues 
qui s'enroulent se déroulent 

incidemment au bord de l'eau 
de petits crabes blancs courent comme des fusées 
après un départ catapulte 

arrière-plan
les lumières d'un rocher un hôtel peut-être 

et le roulement revient occupe toute la scène 
on ne voit plus que ce genou sur fond d'écume 
ce genou chair devant la vague laiteuse 
ce bout de statue face aux allers-retours de la mer 
la vie immobile et qui finira 
face à la vie qui bougera toujours

rien à dire

rien à dire 
le ciel est sale 
les regards fuient 
le bruit partout 
un jour d’hiver 
sans pluie 
sans pli 
sempiternel 
marcher 
respirer 
je la croise 
un sourire 
non 
tant pis 
m'en fous 
j’existe encore

pluie des tropiques

ce qui tombe du ciel 
n'est pas un crachin breton 
c’est une infamie 
de l'eau lourde et méchante 
la goutte épaisse et bien grasse 
sans chichis 

cette pluie ne s'insinue pas elle frappe 
elle veut tout tremper 
les petits et les gros 
le cou le genou les endroits sensibles 
sur la peau et sur la terre 
des doigts de pieds jusqu'aux cimes des arbres 
rien ne lui résistera 

ce n’est pas un rideau cette pluie 
c'est une grille une prison un marteau 
quand elle vous vient dessus 
comme ça 
sans prévenir 
vous n’êtes plus qu'une mare 
une dégoulinade 
rien ne sert de résister 
c'est foutu 

et puis au moment où vous allez hurler 
sur cette averse ennemie 
pluie brutale des ténèbres sans vent 
violeuse d’espaces et de temps 
hop elle est partie 
aussi légère qu'une plume
la garce 

et vous restez là comme un sourd 
les bras ballants le souffle court 
l’œil humide sans aucune arme 
baptisé pour l'éternité 
enchainé à un sol en loque 
tandis que la dernière larme 
quittant votre sourcil dressé 
tombe sur le sol mouillé floc
Conseil: une fois sur les poèmes, passez d'un texte à l'autre avec les flèches du clavier